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Publié le jeudi 26 mai 2022

52es Journées de l’ECF - 19 et 20 nov. 2022

JE SUIS CE QUE JE DIS - Dénis contemporains de l’inconscient

3 interprétations du thème des J52

Les 52es Journées de l’Ecole de la Cause freudienne se tiendront les 19 et 20 novembre.

JE SUIS CE QUE JE DIS

Dénis contemporains de l’inconscient


Elles sont organisées sous la direction d’Alice Delarue, Anaëlle Lebovits-Quenehen et Éric Zuliani.


Avant d’avoir de plus amples renseignements vous trouverez ci-dessous le premier des trois arguments des co-directeurs de ces journées : celui d’Anaëlle Lebovits-Quenehen.


L’argument d’Anaëlle Lebovits-Quenehen :

Racisés, blancs, hétéros, homos, cis, trans, etc., l’époque est à l’identité qui s’affirme, se revendique, voire se clame à l’occasion comme si la vie en dépendait. Jacques-Alain Miller a pu noter en ce sens qu’au cogito cartésien « Je pense, donc je suis » se substituait aujourd’hui un dico : « Je dis, donc je suis1 ». Selon ce dico, il suffirait de dire ce que l’on est pour être ce que l’on dit.

Par ailleurs, notons-le, nul écart, dans ce dico, entre la chose dite et l’être supposé s’en déduire, nulle place pour la division subjective que l’inconscient fait émerger. Tout va comme si, dès lors qu’un sujet énonçait son identité, le hiatus qui gît au cœur de l’être parlant du seul fait que le langage l’affecte, se résorbait tout à fait.

Sans pudeur

Ainsi se présente-t-il des sujets, effets de leur propre dico, si identifiés à eux-mêmes, si plein d’eux-mêmes, qu’ils s’exhibent sans pudeur, ni honte. Les acteurs de téléréalité et leurs témoignages incessants, censés attester qu’ils sont ce qu’ils disent être, sont exemplaires d’une telle tendance à l’exhibition, qui appelle, en retour, le voyeurisme. De fait, la pudeur atteste de ce qu’entre un sujet et ce à quoi il s’identifie, entre un sujet et le réel de la jouissance auquel il a affaire, l’écart qui se creuse appelle une certaine retenue, et l’imposition d’un voile. Seul un être qui coïncide parfaitement avec lui-même peut s’avancer, tel Yahvé affirmant : « Je suis ce que je suis2 ».

Mais si le sujet du dico est tout à fait lui-même sur un certain plan – au point qu’il s’exhibe ainsi sans retenue –, il est, sur un autre plan (très conforme à l’idéologie woke), tout à fait absent de lui-même contrairement à Yahvé. Il est alors d’autant plus ce qu’il est qu’il n’est pour rien dans ce qu’il est. Loin de se considérer comme impliqué dans son mode de jouir, l’identité affirmée par le dico s’affirme comme le fruit de pures déterminations extérieures. La responsabilité subjective n’y a pas sa place, ce qui renforce d’autant le pousse-à-l’exhibition dont le sujet témoigne. En effet, dès lors qu’il ne se trouve pas impliqué dans son être, de quoi le sujet du dico aurait-il honte ? Sur quoi jetterait-il le voile de la pudeur, puisque ce n’est pas lui qu’il affiche en s’exhibant ?

Au champ de l’Autre

Ce Je suis s’affirme souvent d’autant plus vigoureusement qu’il va parfois contre l’évidence – ainsi par exemple quand un sujet prétend être autre chose que ce qui s’en perçoit au premier abord. Cette identité qu’il affirme, et dans laquelle il se reconnaît, s’impose certes d’abord au sujet du dico lui-même, mais il lui faut ensuite l’imposer à l’Autre qu’il institue comme témoin de ce qu’il est. Sa certitude propre doit devenir celle de l’Autre, et cela jusqu’au point de dissuader, cet Autre, de l’interroger : Pour autant que je l’ai dit, tu n’as, toi, rien à dire.

Pourquoi une telle injonction au silence ? Pourquoi la déclaration identitaire doit-elle être le dernier mot, sinon parce que l’identité qui s’y affirme s’éprouve comme une identité blessée (par le racisme, le sexisme, la misogynie, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie, etc.) ? En réalité, l’être émergeant du dico fait volontiers couple avec son potentiel offenseur. C’est la raison pour laquelle le dico vise d’abord la neutralisation de toute parole qui pourrait, bien sûr, nier son identité, mais même seulement l’interroger, ou interpréter les dits dont elle blessants de la parole, mais il l’étend à toute parole qui ne se limiterait pas à confirmer l’énoncé dont l’affirmation identitaire procède.

Ève Miller-Rose notait récemment que « faire de tout propos qui ne soit supplétif à ces discours identitaires une blessure, une offense, c’est prêcher que les mots sont blasphématoires3 ». C’est justement dans cette mesure que les tenants du dico se tiennent à l’abri de ces propos « blessants ». Car cette blessure, sans doute, leur en rappelle-t-elle une autre.

Comme Lacan nous l’indique en effet, lalangue marque dès l’abord le corps de son empreinte et ses effets sont plus ou moins blessants selon la façon dont elle a été véhiculée auprès de tel sujet en particulier. Et ces tenants du dico, si prompts à voir du blasphème là où une parole peut émerger, on peut supposer que lalangue les a, eux, spécialement atteints et blessés. Toute parole à venir porte dès lors la trace brûlante (et toujours prête à se raviver) de cet impact dont il s’agit de se prémunir.

Or, réduire l’Autre au silence est bien une manière de neutraliser les effets de sa parole, et la plus radicale qui soit. Une autre est de prétendre réformer la langue comme on le voit faire aujourd’hui avec, entre autres, l’introduction de nouveaux termes et une nouvelle façon de se rapporter au genre grammatical. Mais dans une telle perspective, réformer la langue semble constituer une quête sans fin, tant il est vrai qu’aucune novlangue ne sera jamais assez nov pour voir ses effets potentiels neutralisés.

L’inconscient dénié et son retour

Comme l’inconscient n’est pas une substance, qu’il n’est pas localisable dans le corps, et ne constitue pas davantage une partie de l’âme ou de l’esprit, mais qu’on en saisit les émergences à même la langue, et pour autant seulement que quelqu’un l’interprète cet inconscient, le diktat du dico qui intime le silence, en constitue bel et bien une négation. Pourtant, la psychanalyse, qui fait fond sur l’inconscient, est le lieu même – et le seul –, où il y a chance de composer avec lalangue et ses effets subjectifs passés, présents et futurs.

L’inconscient peut donc bien être dénié, ses effets se font sentir – et cela, peut-être d’autant plus qu’il est dénié. C’est spécialement sensible au niveau de la jouissance, qui n’est jamais celle qu’il faudrait4. Exilé d’un rapport d’harmonie au monde, aux autres et à lui-même, le corps parlant, qu’il fasse fond sur l’inconscient ou le dénie, reste soumis à cet exil. Mais le déni de l’inconscient voue un sujet à s’aventurer dans l’existence, lesté de cette « écharde dans la chair5 » dont la douleur exquise se rappelle parfois à lui, et dont aucun dico, si assertif soit-il, ne parviendra jamais à le soustraire qu’illusoirement, et seulement le temps que durent les roses.

Ainsi l’inconscient réel insiste-t-il à se faire reconnaître lui aussi, à titre d’existant

Anaëlle Lebovits-Quenehen
Codirectrice des J52

Notes :
1 Miller J.-A., intervention lors de « Question d’École », École de la Cause freudienne, Paris, 22 janvier 2022, inédit.
2 Exode, chapitre 3, verset 13-14. Et cf. Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 74-75
3Miller-Rose È., intervention lors de la « Grande Conversation de l’École Une », Association mondiale de psychanalyse, Paris, 20 avril 2022, inédit.
4 Cf. Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 55.
5 Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 757, cité par Miller J.-A. lors de sa présentation d’Ornicar ? Lacan Redivivus à la librairie Mollat, ACF en Aquitaine, 5 février 2022, inédit

Télécharger l’argument d’Anaëlle Lebovits-Quenehen :



Pour lire les arguments des 3 co-directeurs :
- l’argument d’Eric Zuliani
- l’argument d’Anaëlle Lebovits-Quenehen
- l’argument d’Alice Delarue

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