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Publié le mardi 18 février 2014

Séminaire ACF 2013-14 – Rouen

Soirée préparatoire du Congrès de l’AMP

Vendredi 21 février – Rouen

Un réel pour le XXIe siècle

« Il s’agit de laisser derrière nous le XXe siècle pour renouveler notre pratique dans le monde, lui-même suffisamment restructuré par deux facteurs historiques, deux discours : le discours de la science et le discours du capitalisme1 ». Voilà l’enjeu décisif fixé par J.-A. Miller pour la psychanalyse et pour notre prochain congrès de l’Association Mondiale de Psychanalyse qui aura lieu à Paris du 14 au 18 avril prochain. Guy Briole le souligne dans sa préface du volume Scilicet qui est d’ores et déjà un outil de travail pour toute la communauté de l’AMP, il ajoute ceci : « Si la vague du réel sans loi semble donner sa force à la marée montante du désarrimage du sujet, c’est comme point de capiton, ancrage, de cette dérive que la psychanalyse peut inscrire son futur2 ».

Parmi les textes d’orientation disponibles sur le site de l’AMP, je relèverais la proposition de Sergio Laïa qui fait du thème du Congrès une « offre stratégique » des psychanalystes d’orientation lacanienne : ils pourraient offrir à ce siècle empêtré, consumé, bouleversé et dévasté par le réel, la subtilité et la finesse d’un réel – différent de l’abord qu’en fait la religion, la science et la domination combinée du discours de la science et du discours du capitalisme3.

Le renouvellement attendu de notre pratique porte sur l’invention de Lacan à la fin de son enseignement d’un « réel sans loi » dont J.-A. Miller tire les conséquences : cette invention coupe la connexion entre réel et nature, attaque le concept de savoir en le ravalant à une « élucubration sur un réel dépourvu de tout supposé savoir4 » ; tel est l’inconscient transférentiel qui est discours seulement dans l’expérience analytique où se constitue « un savoir non pas dans le réel mais sur le réel5. » Seule l’élucubration fantasmatique lui donne sens, logique : les témoignages de passe montrent comment pour chacun l’expérience analytique s’est réduite à « un pauvre réel, qui s’efface comme la pure rencontre avec lalangue et ses effets de jouissance dans le corps6. »

Ce réel lacanien n’est pas le réel de la science : « c’est un réel hasardeux, contingent, en ceci qu’il manque la loi naturelle de la relation entre les sexes. C’est un trou dans le savoir inclus dans le réel7. »

Nous vous proposons, lors de cette soirée préparatoire, de prendre un premier aperçu sur le contexte, les conditions et les coordonnées inédites de l’expérience analytique au XXIe siècle : en particulier sur la façon dont « on touche au réel de tous côtés selon les avancées du binaire capitalisme-science, de manière désordonnée, hasardeuse, sans que puisse se récupérer une idée de l’harmonie8. »
Comment l’invention lacanienne nous permet-elle de faire une « offre stratégique » qui contrerait pour le parlêtre ce réel dévastateur par « un bout de réel » pauvre, subtil et unique dans sa singularité ?

Marie-Hélène Doguet-Dziomba
A ce texte de présentation s’ajoutent trois autres que nous publions ci-dessous ; parus en un a-périodique adressé par mail aux participants, ils peuvent aussi être téléchargés. On découvrira des notes de Marie-Claude Sureau, une interview d’Hélène Bonnaud et une interview de Laure Naveau.

Notes :

1 J.­‐A. Miller, « Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP » Un réel pour le XXIe siècle, Scilicet, p. 17, Collection rue Huysmans.
2 G. Briole, « Nouages », Scilicet, op. cit., p. 9.
3 S. Laïa, « Une offre de la psychanalyse d’orientation lacanienne », www.wapol.org
4 J.­‐A. Miller, « Présentation… », op. cit., p. 23.
5 Ibid., p. 25.
6 Ibid., p. 25.
7 Ibid., p. 25.
8 Ibid., p. 24.

Cette soirée aura lieu le vendredi 21 février 2014 à 20h30.

Elle sera animée par Serge Dziomba, Marie-Hélène Doguet-Dziomba et Eric Guillot.

Hôtel des Sociétés savantes, 190 rue Beauvoisine – Rouen (76)
Consulter le plan d’accès.

Participation aux frais : 5 euros.

Notes
Un texte de Marie-Claude Sureau, Déléguée régionale de l’ACF-Normandie

Le discord entre Réel et Vérité :
Pour éclaircir cette notion de réel, je suis allée lire la première leçon du séminaire de Jacques-Alain Miller « Le réel dans l’expérience analytique », séminaire de 1998-1999. Je vous en fais un bref résumé.
D’abord il y a, dit-il, une question à ne pas poser c’est : qu’est-ce que le réel ? Pourquoi ne pas poser cette question ? C’est qu’elle « suppose une définition qui s’accorde à la vérité » et « le réel ne s’accorde pas avec la vérité ».
Après avoir parlé de l’étiquette, de la cérémonie, du setting de la psychanalyse, J.-A. Miller dit qu’il y a dans la psychanalyse quelque chose de l’ordre de la cérémonie et que la tentative de Lacan a été d’accorder la psychanalyse au discours de la science. Si la cérémonie se moque de ce qui peut être le réel, cela veut dire que la manipulation du semblant à laquelle elle procède donnerait accès à un réel.

Le premier pas de Lacan :
L’algorithme S/s amené par Lacan à la psychanalyse est selon J.-A. Miller « sa tentative d’accorder la psychanalyse au discours de la science », science du langage, algorithme soutiré à la linguistique en partant de ce que la psychanalyse se situe dans le champ du langage. Exemple de l’application de cet algorithme : l’Autre est devenu signifiant, l’organe masculin est devenu le phallus, le père est devenu aussi bien signifiant ( sur ces questions se reporter aux séminaires IV et V de Lacan). Qu’est-ce que le réel au gré de cet algorithme ? Il est en dehors : le réel psychanalytique est le signifié, c’est-à-dire que c’est le sens (cf. le texte de Lacan : Fonction et champ de la parole et du langage). L’inconscient est histoire, à savoir une succession de significations du réel constitué des effets de sens.

Le second pas de Lacan :
Le premier pas de Lacan a été voilé par le pas suivant qui a été qualifié de « lacanisme » selon lequel le réel est le signifiant, cela suppose d’avoir fait du signifiant la cause des effets du signifié. Ce qui veut dire que l’inconscient n’est pas histoire mais savoir. « Comme si l’inconscient mettait en évidence qu’il y a un savoir dans le réel, que le réel se présente sous les espèces du savoir. »

Le troisième pas de Lacan :
C’est seulement à la fin de son enseignement que Lacan pointe la notion d’un réel qui ne serait ni signifiant ni signifié, un réel qui rejette le sens et le savoir dans le registre du semblant. R/s Ce que Lacan cherchait est au delà de l’inconscient dit J.-A. Miller, et cela se trouve dans la première leçon du Séminaire « L’Une bévue ». Cela constitue une mise en question de la vérité, de l’expérience analytique elle-même comme recherche de la vérité.

Premier décalage :
La vérité appartient au registre du sens, du sens auquel on adhère. « Là où l’analysant cherche le vrai, l’algorithme le conduit à trouver le réel et la déception du vrai est corrélative d’un accès au réel, où à vrai dire c’est moins qu’il trouve le réel, que le réel le trouve, le rattrape » (cf. Hélène Bonnaud dans son témoignage). « Il y a un décalage entre le vrai et le réel, qui donne son sens à la passe, qui est déjà une forme au-delà de la psychanalyse. »

Deuxième décalage :
J.-A. Miller situe ce décalage entre psychanalyse et psychanalystes : Le décalage qui occupe Lacan est celui entre le psychanalyste et la psychanalyse. Les psychanalystes tels qu’ils sont et tels qu’ils devraient être. Ceci est un écho à La Bruyère (les hommes tels qu’ils sont et tels qu’ils devraient être) comparant Racine et Corneille : l’un les peignant tels qu’ils sont et l’autre tels qu’ils devraient être. C’est ce décalage entre le vrai et le réel qui donne son sens à la passe, à l’invention de la passe, qui est déjà une forme d’au-delà de la psychanalyse. C’est pour explorer ce qu’est un psychanalyste que Lacan a inventé la procédure de la passe. « La passe est évidemment un forçage, un supplément de l’expérience analytique. Elle est déjà dans ce mouvement d’Outrepasser, qui le conduira, vers la fin, à évoquer une dimension d’au-delà de l’inconscient. Ce mouvement-là est déjà présent qui anime la passe. » On note là déjà la problématique de l’Outrepasse telle que J.-A. Miller la situera ensuite.
Lacan a cherché et mis au point l’algorithme d’entrée dans l’analyse (algorithme du transfert) et la formule de fin de cure est aussi cherchée dans la passe. Il y avait une dispersion de la sortie de l’analyse qui a été rassemblée par un obstacle « le roc de la castration » chez Freud, dit J.-A. Miller. Lacan cherche une véritable conclusion en tant que fin nécessaire. Il s’agit ainsi de distinguer l’analysé et le praticien de la psychanalyse. Les psychanalystes ne sont pas à la hauteur de la psychanalyse, « comme analystes ils renient la révélation qu’ils ont obtenue de leur expérience d’analysant » écrit Lacan.
J.-A. Miller étudie ensuite les trois modalités de ce reniement : ce terme de reniement employé par Lacan renvoie à la notion de révélation donc de vérité révélée dit J-A Miller.
1 - Ce dire que non est commenté comme oubli, Verdrangung, refoulement, ce qui le fait ressortir à la névrose.
2 - Il peut être Verneinung démenti, ce que Lacan qualifie de « louche refus » – c’est ainsi qu’il propose de le traduire – cela est du registre de la perversion.
3 - Parfois dans ce reniement, il y a quelque chose de la forclusion ; ainsi il cite Lacan dans Scilicet 1 : « Faire interdiction de ce qui s’impose de notre être, c’est nous offrir un retour des destinées, qui est malédiction, ce qui est refusé dans le symbolique reparait dans le réel. » Nous citons souvent la fin de cette phrase, il est intéressant de voir qu’elle se rapporte à la question de l’être et de la fin de la cure.
J.-A. Miller note une affinité entre la position de l’analyste et la fermeture de l’inconscient. « Pour être la cause du désir de ses analysants l’idéal de l’analyste est de se fermer à son propre inconscient. » Cette position est complètement occultée dans les théories du contre-transfert.
Le désir de l’analysant est un désir de savoir ; le désir de l’analyste est lui désir d’obtenir la différence absolue. J.-A. Miller commente ce point de façon extrêmement claire : c’est obtenir la chute des identifications et du signifiant maitre, la chute de cette « étiquette subjective qu’on appelle un S1 ou une identification ». Cela dessine le discours analytique.
Comment remettre l’analyste dans une position d’analysant qui s’adresse au sujet supposé savoir, c’est la question institutionnelle de Lacan, dit J.-A. Miller ; cette position va contre celle d’agent du discours analytique. Cette force puissante, c’est ce que Lacan a appelé une « Ecole » qui va contre l’infatuation. Voilà l’orientation très claire qui nous est ici donnée en intention par J.-A. Miller et qui va guider notre travail. Ces textes ont constitué mon introduction au Séminaire interne de l’ACF-Normandie.

Questions à Hélène Bonnaud
Une interview d’Hélène Bonnaud par Marie-Hélène Doguet

Marie-Hélène Doguet : Tu soulignes dans ton texte « Dire/écrire » (paru dans Scilicet) qu’une psychanalyse vise à rendre « lisible » le symptôme. Ceci suppose deux dimensions qui se nouent : ce qui se dit et ce qui s’écrit dans une psychanalyse. Le symptôme cherche à dire et ne dit pas – il s’agit de le déchiffrer comme un texte inconscient, ce qui suppose que la parole puisse s’écrire en une « chaine de lettres », une chaine de S1. Il s’agit là d’une « écriture dans la parole » qui révèle la vérité du symptôme. Mais cette vérité relève du pas tout : elle ne peut que mentir sur le réel du symptôme. C’est là que tu proposes de serrer ce réel par une autre écriture : celle d’un S1 qui est venu percuter le corps « par effraction », y laissant une marque, un « effet d’écrit » qui ne cherche pas à dire mais qui se réitère. C’est ce qu’il s’agirait « d’arracher » « au réel où s’est écrit le symptôme ». Dans un autre texte, tu écris que ce réel n’a pas de sens mais qu’il a une logique. Ma question est la suivante : comment passe-t-on de « l’écriture dans la parole » à « l’effet d’écrit » dans le corps ? Y a-t-il un rapport logique entre les deux ou un non-rapport ?

Hélène Bonnaud  : L’analyse est un long trajet car même si la levée du refoulé a une limite, elle semble illimitée. C’est cette modalité de la limite et de l’illimité qui m’intéresse parce qu’au fond, ce qui s’écrit dans la parole concerne un écrit déjà là, qui était déjà là et que l’analyse permet de lire. Les traces de cette écriture se retrouvent dans le travail de déchiffrage qui consiste à lire le texte caché derrière ce qui se dit. Tous les moyens mis en œuvre dans une analyse tels les lapsus, les oublis, les rêves, les actes manqués sont des moyens de s’introduire dans cette zone du refoulé. Si cela prend du temps, c’est le temps qu’il faut pour chercher la cause du symptôme, le temps qu’il faut pour l’admettre et l’ordonner. En effet, contrairement aux autres formations de l’inconscient, le symptôme se caractérise par sa permanence. Il se répète, et il fait souffrir. Tant qu’on est pris par le sens, et le désir de savoir, on reste dans cette logique signifiante, dans une logique parfois paradoxale, qui soulève bien des questionnements car nous partons de l’énigme que constitue notre propre symptôme pour nous-mêmes.

Lacan indique dans la « Proposition du 9 octobre » que « le savoir s’articule dans une chaîne de lettres si rigoureuses, qu’à la condition de ne pas en rater une, le non-su s’ordonne comme le cadre du savoir1. » C’est pourquoi il a inventé la passe à ce moment précis où il pense que la fin de l’analyse, c’est en quelque sorte ce non-su qui s’est ordonné et qui peut se transmettre. La conséquence de la traversée du fantasme en est le point où s’atteint ce moment de destitution du sujet et de chute du sujet supposé savoir.

Aujourd’hui, comme l’a souligné Jacques-Alain Miller dans son cours « L’être et l’Un », les analyses sont menées au-delà de la traversée du fantasme. Elles se poursuivent parce que la répétition fait butée au savoir. Elle est pure jouissance de ce qui ne change pas. Une fois dénudée par les tours du dit, il reste l’os qui ne se résorbe pas. C’est une des définitions du réel. Le réel c’est ce qui revient toujours à la même place, a dit Lacan.

Or la jouissance se lit entre les lignes, elle ne s’attrape pas dans le sens. Elle est opaque au sens. Alors ce qui s’écrit de la jouissance, c’est le réel en ceci que la jouissance ne ment pas, ne se dit pas et reste à la même place.

Lorsque Jacques-Alain Miller propose de séparer l’être de l’existence et qu’il y corrèle d’un côté le sens, de l’autre l’écriture, il me semble que cette séparation vaut comme un non rapport entre les deux, une coupure radicale. Le sens renvoie toujours à une trace alors que le Un d’existence tient à un effet d’écrit et non de signification.

S’il y a une logique entre les deux, elle est contingente.

Pour moi, elle a été logique en ceci que la découverte du S1 jeter est venue percuter le corps dès le début de la vie. Si je le considère comme un écrit primaire, c’est parce qu’il était oublié, qu’il était coupé d’un S2, et que sa répercussion dans le corps était restée, malgré mes longues années d’analyse, non seulement hors sens mais déconnectée de toute possibilité d’en dire. C’est une écriture d’existence, parce que comme écriture, elle n’est pas corrélée à l’Autre. Elle est écriture d’avant l’Autre. C’est le Un qui s’imprime dans le corps, avec l’effet de jouissance qui est toujours resté opaque pour moi, et surtout qui n’a jamais pu trouver à s’interpréter dans l’analyse. Pourquoi ? Eh bien, il me semble que l’absence de retour du refoulé que constitue le S1 est la marque même de l’existence. C’est un écrit qui ne pouvait se dire, et a fortiori, se lire. C’est pourquoi sa percussion dans le corps s’est marquée de l’itération d’un décrochage du corps, auto-jouissance du corps éjecté qu’il faut toujours rattraper.

Pour que malgré tout, ce S1 finisse par se dire, il a fallu l’intervention de l’analyste qui a entendu dans la phrase « mes parents n’ont jamais parlé de moi avant ma naissance », une forme étrangère, une sorte d’isolat propre à l’écriture d’un dire qui porte sur le réel, non pas de l’être du sujet, mais de ce qui s’est écrit avant qu’il ne soit né, proprement du côté de l’écriture de l’existence.

En coupant la séance sur ce dit, il a fait vaciller l’intention de dire qui prévaut toujours pour faire entendre là où pour le sujet, il n’y avait pas eu de connexion à l’Autre. Il s’agissait certes d’une dénégation qui vient justement démontrer à quel point la phrase paternelle était passée sous le dessous du refoulé. Elle s’était écrite mais elle était restée hors sens. La connexion entre la phrase « mes parents n’ont pas parlé de moi avant ma naissance » et la phrase paternelle était coupée. C’est là qu’il y a eu lecture de ce qui s’était écrit comme trace laissée sans effet de sens. Il a fallu une contingence incroyable pour que cet énoncé surgisse et qu’il puisse entraîner avec lui que le réel de l’éjection du corps puisse trouver sa causalité réelle dans ce dernier moment de l’analyse.

L’arrachement du réel répond à ce S1 tout seul qui, du fait qu’il n’a pas pu se lier à un S2, s’est répercuté dans le corps sous la forme de l’éjection. Cela se passe hors signifiant, c’est dans le corps que ça se passe. Le corps est l’Autre du signifiant. Il est logique en ceci que la phrase paternelle est un S1 tout seul qui a percuté le corps de l’enfant dont l’itération marquera pour toujours la jouissance aléatoire et incompréhensible pour le sujet.

Marie-Hélène Doguet : Peux-tu nous dire quelque chose de l’effet en retour de cet arrachement sur ta pratique ?

Hélène Bonnaud : Il est difficile de savoir quel est l’effet de cet arrachement sur ma pratique. Je pense qu’il y a un effet d’apaisement lié la fin de l’analyse, au tourment qu’aura été pour moi, de finir mon analyse de façon qui me satisfasse. L’apaisement ne veut pas dire que ma pratique a changé. L’effet est lié à un dégagement par rapport à mon propre parcours analytique, un vidage d’être qui laisse un sentiment de plus de liberté dans l’usage des semblants dans le maniement des cures que je dirige, une plus grande légèreté ou plus encore, un sentiment d’être là où je dois être, ce qui est un gain de mon analyse.

J’ai aussi l’idée aujourd’hui que l’analyse a une fin. Pendant longtemps, j’en ai douté. Je peux à présent mener des cures où le symptôme comme réponse du réel m’apparaît comme ce qu’il faut, non pas résoudre, mais faire advenir comme l’os de l’expérience.
J’en sais davantage sur comment serrer, cerner le réel du fait de mon expérience propre.

Marie-Hélène Doguet : Est-ce que ça changé quelque chose sur ta façon de lire le réel du symptôme d’un analysant ?

Hélène Bonnaud : Oui, c’est inéluctable. Le réel, dans ma propre analyse, j’ai voulu quasiment croire que je pourrais le résorber à force de tourner autour de ma jouissance et d’en resserrer la modalité. Pendant longtemps, j’ai cru que la jouissance pourrait se résoudre dans le symbolique. Admettre que l’opération analytique ait un reste n’est pas si simple quand on veut croire à l’inconscient. Il faut d’une certaine façon renoncer à la causalité inconsciente, renoncer au savoir, renoncer au sens, renoncer à l’amour de la parole. S’affronter au réel, c’est s’aventurer dans les aspérités de ce qui s’écrit sans que le sujet le veuille, ce qui est difficile à supporter.

Lire le réel du symptôme d’un analysant, le problème n’est pas de le lire soi-même, c’est que lui-même arrive à le lire. Bien sûr, l’analyste a à devancer l’analysant dans la façon dont il entend l’analysant mais finalement, ce qui me frappe, c’est la difficulté à déranger la défense quand le sujet ne veut rien en savoir. La jouissance est finalement rebelle au changement et ce que J.-A. Miller appelle l’écriture primaire n’est pas lisible comme un texte caché qu’il faudrait interpréter. Il s’agit d’aspirer l’air, l’R du réel, propre à chacun, d’en faire sourdre ce qui en ferait l’aperçu, d’en dénouer le fait. C’est aussi une question de temps. Il faut un consentement à cette lecture et faire une part à ce qu’on appelle la contingence pour saisir l’écriture de la racine de ce refoulement. C’est là que, en tant qu’analyste, on peut savoir qu’il y faut ce que pour ma part, j’ai appelé « une certaine ténacité à m’analyser ».

Notes :
1 Lacan J. « Proposition du 9 octobre », Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001.

Questions à Laure Naveau
Une interview de Laure Naveau par Marie-Hélène Doguet

Marie-Hélène Doguet : Vous distinguez dans votre texte « Désordre » (Scilicet) le désordre dans le réel et le désordre dans le symbolique – ce dernier reste pris dans un registre dialectique dans lequel vous accentuez la revendication de la belle âme. Vous proposez plutôt d’attraper le désordre dans le réel contemporain à partir d’une destruction, celle de « la structure traditionnelle de l’expérience humaine ». Cette destruction, liée à la combinaison des discours scientifico-capitalistique, ne relève pas de la dialectique. Et vous la démarquez soigneusement du rabaissement de la fonction du Nom-du-Père. Elles ne sont pas de même nature, dites-vous. Pourriez-vous nous préciser ce point ?

Laure Naveau : Dans son texte de présentation du IXe Congrès de l’AMP, publié dans le volume Scilicet « Un réel pour le XXIe siècle », Jacques-Alain Miller mentionne en effet la destruction de la structure traditionnelle de l’expérience humaine comme étant liée à la combinaison de deux discours, celui de la science et celui du capitalisme.
Par « structure traditionnelle de l’expérience humaine », il se réfère, il me semble, aux lois de la nature, ainsi qu’aux codes et aux lois qui se transmettent de génération en génération pour structurer, et limiter, autant que faire se peut, les dérives de la pulsion de mort propres aux individus – que Freud avait nommées « Malaise dans la civilisation » et Lacan du terme de « surmoi féroce ».
Dire que la combinaison du discours de la science, qui ne procède que par des lettres et par leur manipulation, avec celui du capitalisme, qui ne jure que par les chiffres et la quantification, procèdent à une destruction de cette structure de limitation, c’est donc faire apparaître l’absence de limites. 
Les conséquences en sont lisibles à la lecture de l’individualisme forcené qui caractérise l’époque, ainsi qu’au style frénétique du rapport aux objets de jouissance contemporains, de type addictif.
Cette absence de limites déstructure ce qui faisait fonction de structuration et ainsi, le « Nom-du-Père » comme fonction en subit-il les conséquences. 
Mais Lacan, tout en affirmant que le Nom-du-Père, « l’on peut s’en passer à condition de savoir s’en servir », prophétisait un retour spectaculaire de la religion et du sens, toujours religieux, qui sauraient donner au Nom-du-Père une nouvelle force pour redonner un sens à la vie. Il a à ce propos utilisé le terme de retour et de sacrifice au « Dieu obscur ». C’est pourquoi l’inquiétude n’est pas de même nature.

Marie-Hélène Doguet : Vous proposez avec la psychanalyse de « substituer au désordre provoqué par les lois folles de la modernité » un « autre désordre » : celui de déranger la défense contre le réel sans loi intime au parlêtre – le seul réel dont s’occupe la psychanalyse – pour atteindre à ce qui fait la singularité de chaque sujet. Ceci suppose un changement de régime : passer du « tout fait sens » à la lecture du pas-tout. Pouvez-vous nous en dire « encore plus » sur ce désordre contre désordre ?

Laure Naveau : Comment alors passer du « tout fait sens » à la lecture du « pas-tout », de l’universel au particulier, et de la nécessité d’un symptôme qui se répète, à la contingence de la rencontre avec le plus singulier de ce symptôme, pour chacun, c’est en effet ce que propose le discours analytique, dont J.-A. Miller disait, à Bruxelles, en 2011, dans sa conférence intitulée « Parler avec son corps », publiée dans Mental 27-28, qu’il est « démassifiant ».
De savoir lire un symptôme et interpréter le désordre au plus intime de chacun, le sujet, qui s’engage dans une analyse, et la mène jusqu’à son terme, objecte à ce nouvel ordre du monde et aux lois folles de la modernité, et cette « objection » fait qu’il s’y retrouve un peu mieux dans le désordre du monde.
« Démonter la défense » face au réel sans loi qui peut être atteint dans une analyse, c’est la tâche d’un analyste au XXIe siècle, et cela nécessite d’introduire un autre rapport au désir, et au désir de savoir.
À un savoir marqué par le manque, par un trou dont il faut plusieurs fois faire le tour. Un savoir marqué par un non rapport au niveau du sexuel, et par un impossible enfin devenu opératoire pour subvertir, au un par un, cet ordre du monde gouverné par le Tout et par l’angoisse qu’il suscite en chacun.
Et pour désordonner cette défense contre un tel réel, pour soutenir cette position envers et contre toute objection de principe qui voudrait une guérison assurée et un retour à l’homéostase et à la pulsion de mort, il faut à l’analyste la capacité inédite de savoir surmonter cette angoisse contre laquelle chacun se défend, pour atteindre à cette zone bien au-delà de toute fraternité humaine.

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