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Publié le mercredi 17 septembre 2014

Séminaire ACF 2014-15 – Le Havre

L’invention au quotidien, au Courtil et dans les institutions

Samedi 4 octobre – Le Havre

Accès direct :
- Argument
- Renseignements et inscription
- Programme
- Notes de lecture : « L’invention psychotique », J.-A. Miller
- Notes de lecture : La bataille de l’autisme, Éric Laurent
- « Petites considérations sur l’invention », Serge Dziomba

 <span style="color:#FF0000;">{{Argument}}</span>

Nombreux sont les professionnels travaillant dans des institutions pour enfants, venant d’horizons multiples, qui ont été passionnés par le film de Mariana Otero « A ciel ouvert », lors des projections suivies de discussions avec la salle que l’ACF a organisées en Normandie. Pour approfondir ces discussions sur l’approche relationnelle et le soin des enfants en grande difficulté psychique, tels que les inspire la psychanalyse d’orientation lacanienne, nous vous proposons une après-midi d’échanges cliniques animée par Véronique Mariage, directrice thérapeutique au Courtil et actrice dans le film « A ciel ouvert ».
A l’heure où la dictature du chiffre et de la « standardisation personnalisée » prônée par les pouvoirs publics menace gravement le respect de la diversité qui fait la richesse vivante de chaque institution accueillant des enfants en grande difficulté psychique, la psychanalyse nous permet d’opposer à l’illusion dangereuse d’une solution valable pour tous, la question ouverte de « l’invention au quotidien ». Comme le souligne avec force Eric Laurent dans son ouvrage La bataille de l’autisme, il est crucial de pouvoir continuer à proposer à ces sujets un mélange sur mesure d’activités pédagogiques et d’apprentissages qui prend en compte la dimension du soin et n’oublie jamais la souffrance de ces sujets. La psychanalyse est « une pratique qui vise à être au plus près de ce qui préoccupe ces enfants ». Et ce qui les préoccupe, c’est le traumatisme de la langue sur le corps. L’invention, c’est justement la façon dont un sujet va traiter ce traumatisme avec un objet des plus singuliers. Il s’agit donc de l’accompagner sur ses « chemins de traverse », par une « présence attentive et plurielle » qui permet d’introduire de la complexité dans cette invention, ouvrant un espace d’échanges où peut s’inscrire « le détours de l’absence » dans un « trop de présence » menaçant. Véronique Mariage nous dit ceci : « Je crois que ces enfants, parce que chez eux ça ne va pas de soi, nous apprennent quelque chose de radical : comment le langage arrime le corps et comment le langage fait rapport au monde. Ils sont toujours sur ce point d’origine.1 ».
Nous pourrons l’interroger sur cet « arrimage » du langage au corps et au monde, et sur son expérience de plus de vingt ans au Courtil. Et elle pourra nous interroger et nous enseigner à partir des travaux cliniques que proposerons plusieurs membres de l’ACF et d’autres professionnels intervenant en institutions pour enfants.

Note :
1 Mariana Otero, Marie Brémond, A ciel ouvert, entretiens - Le Courtil, l’invention au quotidien, p. 73, novembre 2013, Editions Buddy Movies.

 <span style="color:#FF0000;">{{Renseignements et inscription}}</span>

Samedi 4 Octobre 2014 de 13h30 à 18h.

Salle des fêtes,
Hôpital Pierre Janet, 47 rue de Tourneville, Le Havre (76)
Consulter le Plan d’accès

Participation aux frais : 10 euros

Renseignements et inscriptions auprès de Zoé Verhamme :

 <span style="color:#FF0000;">{{Programme}}</span>

<span style="color:#000080;">{{<U>13h30-14h45 : L'invention au quotidien au Courtil</U> :}}</span>

Questions à Véronique Mariage
Avec Marie-Hélène Doguet-Dziomba, Marie-Claude Sureau

<span style="color:#000080;">{{<U>14h45 -18h : L'invention au quotidien dans les institutions</U> :}}</span>

Echanges cliniques avec Véronique Mariage
Présidents : Marie-Claude Sureau, Serge Dziomba
- 14h45 -15h30 : « Le cas Emmanuel », David Coto, Marie-Hélène Pottier, Marie-Annick Dion, Elise Bertocchi, Bastien Le Gal
- 15h30-16h15 : « Le cas Phil », Marie-Hélène Doguet-Dziomba, Céline Schoubert, Isabelle Baron
- 16h15-17h : « Le monde des fleurs », Salima Diallo-Sakho, Marjorie Conseil, Didier Malhaire
- 17h-17h45 : « Gepetto et l’accueil de Claude pas sans son père », Marie-Annick Dion, Marie-Hélène Pottier

17h45-18h : Conclusion par Véronique Mariage

 <span style="color:#FF0000;">{{Notes de lecture : « L'invention psychotique »}}</span>

« L’invention psychotique », J.-A. Miller, Quarto 80-81, pp. 6-13

Cet article de Jacques-Alain Miller est une référence importante pour la préparation de notre après-midi de travail. Il nous permet de poser quelques repères fondamentaux concernant la place et la fonction de l’invention en psychanalyse. J.-A. Miller y commente un paragraphe fameux de « L’étourdit » qui, selon lui, oriente l’abord de l’invention psychotique1 et même de l’invention généralisée.

Le terme d’invention dans les psychoses est justifié par la thèse de Lacan : « la fonction de chacun de ses organes fait problème pour le parlêtre. Ce dont le schizophrène se spécifie d’être pris sans le secours d’aucun discours établi. » Lacan nous invite à penser que la schizophrénie a la propriété de rendre énigmatique la présence au corps. Le propre du schizophrène serait de ne pas pouvoir résoudre ses problèmes d’être parlant en faisant appel à des discours typiques, ceux qui nous disent ce qu’il faut faire ou ne pas faire de notre corps. De ce point de vue, l’éducation serait « l’apprentissage des solutions typiques, sociales, pour résoudre le problème que pose à l’être parlant le bon usage de son corps et des parties de son corps ». La thèse de Lacan met l’accent sur l’antinomie entre la fonction et l’organe : nous avons les organes et puis il nous faut trouver à quoi ça sert, c’est problématique. L’exemple même de l’organe qui échappe au contrôle et à la prise du discours du maître sur le corps est l’organe phallique, ce que Lacan appelle l’organe « hors corps » - quelque chose qui échappe au corps mais qui reste lié, qui est posé (sistere) hors de (ex), hors du corps mais en référence à lui. Les discours établis, certains rites (cf. la circoncision), permettent de réintégrer l’organe hors corps dans le corps. Le schizophrène doit trouver les moyens de réunifier le corps et de le soutenir, pas dans un discours établi : là est son invention.

Dans le passage de « L’étourdit », Lacan commence par spécifier l’être humain d’habiter le langage – thèse cueillie chez Heidegger. Et « le fait d’habiter le langage fait organe pour son corps » : le langage est un organe, il est un organe hors corps « greffé » à l’être parlant, qui lui pose le problème de quoi en faire, quelle fonction lui trouver, comment en faire son instrument. La parole est attachée au corps, elle le mobilise, et en même temps elle passe à l’extérieur. L’être parlant est affecté de l’organe-langage, c’est à partir de ce fait qu’il doit trouver qu’il n’a pas affaire qu’à l’organe-langage, mais qu’il en a d’autres – il n’est pas seulement être de langage. Finalement, le mot « organe » désigne « la palpitation de la jouissance » dans ces parties du corps. Lacan nous invite à voir dans l’organe-langage hors corps, ex-sistant au corps, « ce qui déchausse les organes du corps ». Et en même temps « ce qui les signifiantise et les rend problématiques, c’est-à-dire fait qu’on se pose la question de quoi en faire ». L’organe-langage du sujet fait un « parlêtre », il lui décerne un être – il lui décerne aussi un avoir essentiel, le corps. Pour le schizophrène, le problème de l’usage des organes est spécialement aigu : il est obligé d’inventer ses « secours » et ses « recours » pour pouvoir user de son corps et de ses organes.
J.-A. Miller relit avec ce commentaire une citation importante de Lacan, tirée du Séminaire III, p. 284 : « Le sujet psychotique est dans un rapport direct au langage dans son aspect formel de signifiant pur. Tout ce qui se construit là n’est que réaction d’affect au phénomène premier, le rapport au signifiant. » Pour J.-A. Miller, ce que Lacan appelle « construction », c’est, pour nous, l’invention. Il en propose trois reformulations :
1) « L’invention procède de l’ex-sistence de l’organe-langage » : du fait que l’organe-langage est hors corps, qu’il lui ex-siste, « le sujet est conditionné à lui trouver une fonction – ou bien il la reçoit, ou bien il l’invente ».
2) Le « signifiant pur », c’est le signifiant énigme, le signifiant qui ne s’enchaine pas, « le signifiant qui en lui-même fait choc ».
3) Lacan se réfère au traumatisme : le signifiant lalangue et sa jouissance produit toujours un traumatisme sur le sujet. Lacan finira par en faire le « noyau de l’inconscient ». « Le noyau de l’inconscient, c’est qu’on a parlé autour de vous, que ces signifiants ont été investis, et que ça vous a traumatisé. » C’est le traumatisme du signifiant jouissance qui oblige à une invention subjective.

Jacques-Alain Miller souligne que le terme d’invention est profondément lié à l’idée que le grand Autre est lui-même une invention, il n’ex-siste pas. Du coup le sujet est conditionné à « devenir inventeur », il est poussé à « instrumentaliser le langage », à « savoir y faire avec son traumatisme » : arriver à faire du langage un instrument ou rester un instrument du langage, tout se joue là. Le rapport à l’analyste peut représenter pour un sujet « l’aide à l’invention », l’aide à l’invention de recours pour faire tenir le corps, il peut faire fonction d’attache corporelle. [À suivre…]

Marie-Hélène Doguet-Dziomba

1 J. Lacan, « L’étourdit », Autres écrits, Seuil, Paris, p. 474 : « il n’y a pas de rapport sexuel, ceci du fait qu’un animal à stabitat qu’est le langage, que d’labiter c’est aussi bien ce qui pour son corps fait organe, - organe qui, pour ainsi lui ex-sister, le détermine de sa fonction, ce dès avant qu’il la trouve. C’est même de là qu’il est réduit à trouver que son corps n’est pas sans autres organes, et que leur fonction à chacun, lui fait problème, - ce dont le dit schizophrène se spécifie d’être pris sans le secours d’aucun discours établi. »

 <span style="color:#FF0000;">{{Notes de lecture : {La bataille de l'autisme} }}</span>

La bataille de l’autisme, Éric Laurent, Navarin Le champ freudien, 2012

Dans cet ouvrage, qui est une autre de nos références pour la préparation du 4 octobre, Éric Laurent met l’invention au cœur de la rencontre avec un sujet autiste dans la perspective psychanalytique. S’affronter à ce réel suppose, écrit-il p. 65, « d’en appeler à l’invention d’une solution particulière, sur mesure ». Il souligne que l’invention est le seul « remède » du sujet autiste ; elle doit, chaque fois, « inclure le reste » – « ce qui reste du vivant lorsqu’il n’est pas articulé au langage » (p. 13), « ce qui demeure à la limite de sa relation à l’Autre : ses objet autistiques, ses stéréotypies, ses doubles » (p. 65). L’invention qui oriente notre approche psychanalytique de l’autisme, tourne ici autour du rapport particulier que les autistes entretiennent avec certains objets : « on peut repérer différentes modalités de couplage du sujet autiste avec un objet particularisé, supplémentaire, électivement érotisé. Le corps du sujet est dans un rapport de recollement incessant avec cet objet de jouissance hors corps. Il s’agit d’une tentative de se situer par rapport à cet objet – auquel il se colle et qu’il rejette aussi bien. » (p. 41) L’objet est inséparable du sujet, il est un « organe défini par une pure extériorité » qui n’aura pas d’autres fonctions que celles que le sujet va inventer – cette invention « s’inscrit dans la famille des efforts pour subjectiver » l’organe-langage que nous avons évoqué dans les Notes de lecture sur « L’invention psychotique », J.-A. Miller. Les inventions du sujet autiste lui permettent de rattacher « cet organe supplémentaire » à son corps, elles indiquent « la fonction d’un organe supplémentaire que l’enfant tente, au prix de sa vie s’il le faut, d’extraire ou d’introduire comme l’organe qui conviendrait au langage dans son corps » (p. 42).

L’invention est ici conditionnée par « l’immersion » des enfants autistes « dans le réel », selon l’indication de J.-A. Miller dans « La matrice du traitement de l’enfant au loup » (La Cause freudienne, n°66, mai 2007) développée par E. Laurent. Il propose de parler de « forclusion du trou » pour qualifier un espace subjectif « sans trou » : « dans le registre du réel, il n’y a pas de trou, sinon celui que tente de créer l’automutilation (…). Cette forclusion rend le monde invivable et pousse le sujet à opérer un trou par forçage, via une automutilation, pour trouver une issue au trop de jouissance qui envahit son corps » (p. 67). Comment faire face à la forclusion du trou ? Qu’est-ce qu’un corps « lorsque les trous qui le constituent fonctionnent dans un espace subjectif qui lui, est « sans trou » » ? « Ne pas pouvoir disposer d’un corps articulé à des trous requiert des coutures particulières de l’espace, ainsi que des recollements à des doubles réalisés, qui suppléent à l’absence d’image du corps. » (p. 13) L’invention nécessaire consiste donc « à produire ce qui n’a pas de lieu dans son monde » (p. 46) : « se vider » pour tenter de « se débarrasser d’un trop-plein d’excitation, d’un objet impossible à céder » (p. 46).

La forclusion du trou implique qu’il n’y a pas de bord délimitant ce trou (p. 69), le « bord » étant une « zone frontière » qui peut être franchie, un lieu où des échanges peuvent se produire. L’invention nécessaire est donc celle d’un « néo-bord » que l’approche psychanalytique peut permettre de desserrer, déplacer, pour constituer un « espace qui n’est ni du sujet, ni de l’Autre – où il peut y avoir des échanges d’un type nouveau, articulés à un Autre moins menaçant ». Ceci débouche sur une clinique originale appelée par E. Laurent « clinique du circuit ». La question est la suivante : « Pour des sujets qui sont sans limite et sans bord, comment instituer une limite, non pas à partir d’un quelconque apprentissage, mais en construisant une chaine singulière amalgamant signifiants, objets, actions et façons de faire, de manière à constituer un circuit qui fasse fonction de bord et de circuit pulsionnel ? » (p. 70) Cet « espèce de bord pulsionnel » a des composants hétérogènes dans la triple dimension réelle, imaginaire et symbolique, il utilise « tout le matériel (jeux, déplacements, paroles etc.) se présentant dans l’interaction avec le sujet ». L’invention d’un « néo-bord » pulsionnel est celle d’un « circuit métonymique », un déplacement par contiguïté, où l’inclusion de nouveaux objets dans la langue du sujet doit s’accompagner d’une « extraction de jouissance » qui se produit au travers d’un « évènement de corps », « le sujet parvenant à céder quelque chose de la charge de jouissance qui affecte son corps et ce, sans que cette cession de jouissance lui soit par trop insupportable » (p. 71). E. Laurent souligne que « le corps à corps avec le thérapeute y est impliqué, le sujet se soutenant de la présence de son partenaire, qu’il peut aussi annuler ou faire disparaître ».

La cattle chute (cage à bestiaux) et la squeeze chute (machine à serrer) ou hug machine qui sont les inventions de Temple Grandin nous montrent le moyen par lequel elle « capture un corps » – il s’agit d’un objet « qui prend une forme et qui en délivre une au sujet » (p. 73), E. Laurent qualifie ce dispositif avec le mathème lacanien de l’objet a. A l’opposé de cet objet qui enserre et supplée aux limites du corps, le protégeant de l’angoisse de l’intrusion (p. 74), il y a l’objet de jouissance « sans forme » qui s’impose au corps, ressenti comme une « altérité radicale », « trace du vivant », et qui doit être extrait du corps coûte que coûte : cet « objet sans forme renvoie à un évènement de corps traumatique fondamental chez le sujet autiste ». D’où la question : comment passer d’une « extraction brute » à un « objet moins cruel à extraire du corps » ? « Comment, ensuite, transformer cet objet, en s’aidant d’un dispositif tel qu’il puisse d’éloigner du corps, et y être pris d’une autre manière ? » Telle est « l’aide à l’invention » à soutenir. Comme le souligne E. Laurent, « au fur et à mesure qu’il s’éloigne du corps, l’objet peut entrer dans l’échange, dans le lien social », à l’instar de la cattle chute. L’invention permet un « effet d’inclusion » dans le lien social – lorsqu’un sujet parvient à extraire un objet « si près du corps » et en même temps à s’en séparer. (p. 75)

E. Laurent donne p. 75 une définition lumineuse de cette invention-objet : « nous appelons « objet » cet accommodement des restes, des débris, que laisse la rencontre avec l’Autre de la langue qui vient perturber le corps (…). L’objet est cette chaîne hétérogène, faite de choses discontinues (lettres, bouts de corps, objets prélevés dans le monde…), organisée comme un circuit, munie d’une topologie de bord et articulée au corps. »

Nous avons vu Éric Laurent soutenir deux hypothèses psychanalytiques qu’il s’agit de mettre à l’épreuve au quotidien « par leur « plongement » dans le réel de la clinique et par la vérification des effets qu’elles y produisent » (p. 197). Plonger nos hypothèses dans le réel de la clinique et vérifier les effets qu’elles y produisent : n’est-ce pas là une nouvelle formulation de l’invention du savoir en psychanalyse ? Quels sont les deux hypothèses ?
1) L’hypothèse du « parlêtre » c’est-à-dire du « corps-sujet », celui qui est affecté par l’organe-langage auquel il doit trouver une fonction [cf. « L’invention psychotique » J.-A. Miller, notes de lecture ci-dessus)
2) L’hypothèse concernant « l’objet autistique et la topologie des circuits de la jouissance qui le définissent ». Après avoir souligné l’hétérogénéité des circuits et des chaînes (faites de sons, d’objets, d’actions…) qui permettent au sujet « de construire un accès à un espace subjectif étayé sur l’usage d’éléments nouveaux » à condition que quelque chose s’extrait de son corps de façon supportable, Éric Laurent aborde l’invention d’une autre façon, en accentuant « l’unité du principe de production qui l’anime » (p. 87). Il nous propose de fonder une approche psychanalytique renouvelée de l’autisme à partir de la lecture faite par J.-A. Miller du Un de jouissance dans l’enseignement de Lacan.

Dans cette perspective, il s’agit dans l’autisme de « la répétition d’un même signifiant, d’un signifiant Un, d’un S1, radicalement séparé de tout autre signifiant, ne renvoyant à aucun S2, mais qui produit néanmoins un effet de jouissance, manifeste par cette répétition même » (p. 88). La puissance de cette « réitération » est liée à l’effacement impossible du Un de jouissance : « cette trace de l’évènement de corps ne pouvant être entamée par le moindre effacement, toute parole est susceptible de provoquer la terreur », le signifiant ayant un impact sans médiation sur le corps (p. 89). A ce niveau, le langage n’est pas séparé du « vacarme de la langue » – l’évènement originaire traumatique qui laisse une trace ineffaçable est « l’inscription du bain de langage sur le corps » (p. 89). Il faut penser ce niveau de la langue comme lalangue, ainsi nommé par Lacan en référence à la lallation du petit enfant. La rencontre avec l’Autre du langage produit un traumatisme dans le corps. L’invention est une tentative de traitement des suites de ce traumatisme.

E. Laurent définit ainsi ce traitement impossible : vouloir réduire le foisonnement des « équivoques réelles » de la langue au « Un de la lettre qui se répète, incluse ou non dans le champ de la parole, vocalisée ou répétée en silence », « faire taire le bruit de la langue qui ne cesse de produire des équivoques », tenter de réduire ces équivoques au silence (p. 98). De ses tentatives se dépose un reste en quoi consiste l’objet autistique (p. 99).

Selon E. Laurent, le véritable maître des institutions, « c’est la clinique de l’instance de la lettre et les modes de répétition réelle qui traversent les sujets qui leur sont confiés » (p. 101). Une présence attentive et plurielle peut permettre d’introduire de « la complexité » dans un système marqué par l’exclusivité d’un objet, qui est considéré non comme un obstacle mais comme un appui pour les inventions de l’enfant, et qui peut lui servir de « chemin de traverse » pour accéder aux apprentissages (p. 102).

E. Laurent évoque souvent « l’hyperkinésie fondamental du sujet », elle témoigne de son effort pour éliminer une « chose » qui l’encombre par la « rayure incessante » à quoi le pousse son rapport à la lettre, pour « faire enfin trou dans la présence menaçante de l’Autre ». Il y a chez ce sujet une pathologie de l’écrit et de la parole articulée au « trop de présence », que l’on peut comprendre dans le rapport de la lettre à la jouissance (p. 105).

Si le « Un de la lettre qui se répète » est une tentative de traiter l’insupportable traumatisme de la langue sur le corps, le Un traverse divers registres qui ont chacun leur dimension propre : l’écriture, le chiffre, la « fixation de la parole », « l’image discontinue », la musique. Chaque enfant peut s’approprier à sa manière et de façon hétérogène ces facultés que sont chanter, parler, compter, dessiner, écouter de la musique : mais ces différentes dimensions témoignent toutes de « leur prise dans la répétition du Un de la lettre » (p. 106). Aussi, « les conditions cliniques qui permettent de nouer un lien avec l’enfant, avec le sujet, sont celles qui favorisent les dispositifs de traitement de l’instance de la lettre les plus larges possibles », à l’opposé de la standardisation et l’approche « spécialisée » des apprentissages prônées par le cognitivo-comportementalisme. Il s’agit au contraire de respecter l’usage particulier des registres de la lettre propre à chacun (p. 107).

Notre hypothèse pour aborder la clinique est celle du « parlêtre » : par exemple le geste violent d’un enfant mutique sur un alter ego, nous en faisons un phénomène qui relève de la « prise du corps dans la matérialité de la lettre », nous en faisons une écriture à lire, une lettre – qui n’est pas un message adressé à l’Autre mais qui témoigne du traumatisme de la langue sur le corps.

Soulignons avec E. Laurent, que dans les institutions, l’enjeu orienté par la psychanalyse est toujours d’isoler la singularité d’un sujet au cœur du discours institutionnel ; loin de « l’écoute passive », ces institutions sont des lieux où se déploie une très grande activité, où la « présence » du corps de l’autre est requise (p. 110). L’enjeu est le suivant : « inventer une procédure particulière, adaptée à chaque cas, telle que la présence de l’autre soit supportable par le sujet », que ce dispositif puisse permettre de lui « octroyer un corps par l’effet de double qu’il implique », qu’il lui permette d’entrer dans « une topologie de bord qui organise les circuits de l’objets », afin de permettre au sujet « d’opérer une séparation d’avec l’excitation mortelle qui saisit son corps » (p. 110).

On l’aura compris, pour mobiliser le sujet, il faut payer de sa personne !

Marie-Hélène Doguet-Dziomba

 <span style="color:#FF0000;">{{« Petites considérations sur l'invention »} }}</span>

Le langage peut être abordé autrement que comme appareil symbolique articulé. Par exemple, lorsqu’il est situé comme organe mais hors corps. Le parlêtre est un corps parlant, le langage est un organe dont le corps est affecté et qui passe à l’extérieur par la parole. Chacune, chacun a à trouver un usage singulier à cet organe. Chacun a à lui trouver une fonction. C’est ce que nous rappelle ou nous apprend Marie-Hélène Doguet avec ses « Notes de lectures » préparatoires à la rencontre avec Véronique Mariage du samedi 4 octobre 2014. Elle relève une équivalence faite par Jacques-Alain Miller entre le terme « construction » de Lacan et celui d’invention. Jacques-Alain Miller y ajoute la condition du traumatisme initial où le signifiant « pur », celui qui fait choc, sans signification ni sens, pré-subjectif, vient percuter, choquer les organes du corps. Chacun aura dès lors à inventer, à faire une invention initiale, obligatoire.

L’invention tient donc à l’organe-langage, elle porte sur l’usage, la fonction que donnera le sujet à l’organe-langage, ce qui sera son invention subjective. L’invention comme on le voit, ne part pas de rien, n’est pas une création ex nihilo. Elle part d’un matériau déjà là.

Mais cette invention est-elle la même pour l’autiste, le psychotique ou le névrosé ? A-t-elle des limites et si oui quelles sont-elles ?

L’invention autistique consiste en la production d’une délimitation, ce qu’Éric Laurent dans son livre La bataille de l’autisme appelle un « néo-bord ». Du fait qu’il est dans un espace sans trou qui fait son univers sans bord ni frontière, comme le fait valoir Marie-Hélène Doguet dans ces « Notes » sur le livre, cette position rend son Autre dangereux, d’emblée, initialement.

En quoi l’invention psychotique s’en distingue-t-elle ? Dans la psychose, s’il y a bien l’invention d’un Autre, cet Autre n’est pas sous la dominance du discours commun normé. La réponse du sujet psychotique au traumatisme de la langue est dans l’usage qu’il en fait. Il remanie le langage à partir soit des phénomènes de corps – la jouissance ressentie dans le corps n’est pas négativable, ne peut être régimentée par le langage – soit, la jouissance logée dans les mots les rend insupportables, comme elle rend insupportable code et messages. Ce remaniement est l’invention de ce qu’Éric Laurent a nommé dans son intervention au Xe congrès de la N.L.S. « une linguistique de la parole en acte » où le fait de parler, l’acte de parole, « modifient la langue qu’il utilise, jusqu’à ce que la langue nouvelle modifiée par les actes de langage puisse accueillir les messages hors sens qui circulaient hors de toute norme ». Ici, l’invention consiste à inventer une nouvelle langue, en un effort pour prendre en charge les phénomènes de jouissance liés à l’organe-langage qui fait être parlant et avoir un corps.

Qu’en est-il dans la névrose ? Ce que le parlêtre invente, c’est son Autre à partir d’un consentement à l’articulation signifiante. Quel est le prix de ce consentement ? Ce sont le symptôme et le fantasme qui expriment (chacun à sa façon) la présence masquée, à l’œuvre, de la substance jouissante non résorbable par et dans l’articulation langagière. Le langage est comme une éponge qui ne peut absorber le liquide répandu. La présence des substances jouissantes non absorbées, non annulées par le langage, est repérable par les conduites du sujet, est présente dans tout désir « dans la mesure où la jouissance n’est jamais à la place que voudrait le soi-disant ordre symbolique » auquel le sujet a consenti, selon le propos de Jacques-Alain Miller tenu lors du XIIe congrès de la N.L.S. On voit le fantasme fondamental inconscient constitué, inventé, dans le rapport du sujet à l’objet, rapport disharmonique et qui reste inconscient. Ce rapport détermine le désir inconscient, il fait du symptôme un mode de présence de la substance jouissante dans sa version de déplaisir.

Ainsi tout parlêtre invente selon sa position de façon forcée, à partir de ce qui a fait rencontre traumatique avec ce que Jacques Lacan nomme « le signifiant pur ». Ces inventions ont une limite : pour l’autiste, c’est le risque vital à partir de ses conduites liées à la problématique du trou, pour le psychotique, c’est la folie ou rupture de tout lien social, pour le névrosé c’est la répétition.

L’accueil dans les institutions des sujets qui le nécessitent, n’implique-t-il pas dès lors la prise en compte de ces inventions initiales comme maniement de ce que le sujet construit dans sa confrontation initiale au traumatisme, où, il s’agira de faire de l’institution, une institution à la mesure de chaque corps qui parle ? Pour cela ne faut-il pas faire une place au symptôme, à ce qui s’aperçoit dans les conduites, comme ne pouvant relever d’un traitement par le langage commun qui relève toujours de la norme ? Cela n’engage-t-il pas à soutenir la voie des inventions initiée primordialement par chaque parlêtre aux fins de ce qui serait une réconciliation avec la jouissance, une nouvelle alliance entre le parlêtre et ce que l’éponge du langage ne peut absorber ?

Serge Dziomba

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