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Publié le samedi 26 mai 2018

LETTERiNA

N° 71 - Au fil du désir...

Mai 2018

LIMINAIRE

Au fil du désir… La couverture de ce Letterina présente l’œuvre d’Anne Houel Faire une folie. Cette sculpture éphémère était accompagnée du texte suivant :

« Échafauder une enveloppe fragile en paille, selon le principe de soutènement du treillis tridimensionnel. Entre rigidité de la structure et fragilité du matériau, la sculpture suspendue tourne autour d’une forme vide, celle de la construction de jardin. »

Les folies étaient ces maisons de villégiature construites principalement au XIXe siècle selon les désirs et les caprices des aristocrates les plus aisés. Elles étaient nommées ainsi du fait de leur extravagance architecturale et certaines dépassaient l’imagination par leur extrême singularité. Le Littré voit aussi dans le nom « folie » une altération du mot feuillie ou feuillée, ces abris de feuillage où l’on pouvait vivre en toute discrétion et qui se prêtaient aux réunions galantes.

Le désir est pluriel ; pris sous ses multiples aspects il peut être extravagant, vorace, insaisissable, manquant… L’usage même de ce terme peut être équivoque. Francine Giorno explore ce qu’il en est du désir en examinant la dialectique entre rêve et fantasme. Le sujet n’a pas de relation directe avec l’Autre, si ce n’est par l’articulation que permet le fantasme, que Jacques-Alain Miller dans son cours sur le Partenaire-symptôme1 a nommé le couple du désir. De fantasme il est question dans les deux témoignages de passe de Laurent Dupont et Dalila Arpin, lesquels illustrent tout le chemin à parcourir pour se tourner vers l’Autre sexe. Leurs solutions sinthomatiques permettent de faire exister le couple. Dalila Arpin explique comment l’analyse lui a permis de faire couple en prenant appui sur son symptôme.

Laurent Dupont souligne que la rencontre avec l’Autre n’est pas une mince affaire. Le paradoxe veut que les discours révèlent l’impossible rencontre tout en tentant de la traiter. L’adolescence a été pour lui un point tournant de sa vie et son témoignage nous donne quelques indications d’une clinique de l’adolescence. Nous verrons dans l’analyse que fait Lydie Lemercier de l’Éveil du printemps, comment à l’âge de tous les possibles, le désir peut être insaisissable, perturbé par la puberté et l’entrée en scène du réel de la sexualité.

Il s’agit de ne pas lâcher le fil du désir pour ne pas être livré au hors-sens de la jouissance. Clotilde Leguil explore la question du désir fou de Médée d’être, avant tout, une femme. Elle se venge par amour pour l’homme qui l’a abandonné en accomplissant le terrible sacrifice de tuer ses propres enfants. Par cet acte elle devient le paradigme de la vraie femme, prête à tout, au point de sacrifier ses enfants qui faisaient d’elle une mère. L’amour, par essence sans limite, vire dans ce cas au ravage.

Le désir échappe, comme Lacan le soulignait : « C’est là que rampe, c’est là que glisse, c’est là que fuit, tel le furet, ce que nous appelons le désir2. » Il s’agit alors pour le clinicien d’essayer de le saisir, sachant que le désir se satisfait d’être reconnu.
Plusieurs vignettes cliniques sont exposées dans lesquelles on voit à l’œuvre les praticiens faire l’offre d’un partenaire qui permet aux sujets d’élaborer leurs propres réponses.
L’attention est portée au surgissement d’un signifiant. En prison, Lyser Vaitiare rencontre des sujets dont elle tente de cerner les bricolages qui leur permettent de faire couple dans ce lieu pourtant marqué par l’isolement. Marie-Claude Sureau illustre bien comment incarner une place de non-savoir a permis à une jeune fille de passer d’une inhibition scolaire à un désir de savoir nouveau. Tout comme Ariane Ducharme dont seule l’écoute à partir de sa position de non-savoir a rendu possible un espace qui lui permette d’élaborer un savoir. Fabrice Bourlez s’est attaché à respecter la singularité du désir d’un sujet qui souhaitait changer de genre. Seul son désir d’analyste lui a permis d’affiner son écoute en luttant contre les préjugés inhérents aux normes du genre.

Nous avons souhaité rendre hommage à Serge Cottet et Judith Miller dont la perte souligne le sillon qu’ils ont tracé, chacun à sa manière. Tous deux se distinguaient par un désir farouchement décidé de transmettre l’enseignement de Lacan. À cette occasion nous publions deux interventions remarquables de Serge Cottet, dont l’une fait suite à sa venue à Rouen.

Deux textes témoignent de ce qu’a pu provoquer la rencontre avec Judith Miller en faisant indéniablement apparaitre un avant et un après. Philippe Lemercier évoque l’intensité de sa présence et se souvient de l’importance des signifiants qu’elle a pu lui transmettre tels que l’accueil, l’offre de parole et le lien. Nathalie Hervé-Diop rend compte de la manière dont un désir de travail dans une institution en souffrance a été réamorcé. Marie-Claude Sureau dépeint l’érudit Serge Cottet qui a fasciné et éclairé bon nombre d’analystes en formation par sa lecture à la fois exigeante et précise ainsi que par son génie clinique.

Dans la rubrique Kiosque, nous avons choisi de revenir sur la pièce de théâtre d’Olivier Werner sur la folie qui est une mise en abîme entre l’écrivain, son personnage et le comédien. Il a mis en évidence l’importance de la physicalité de la langue au point de faire une traduction inédite de la nouvelle de Leonid Andreïev. La discussion qui s’en est suivie avec Francesca Biagi-Chai illustre bien en quoi l’artiste précède toujours le psychanalyste3 .

La nouvelle équipe de Letterina vous souhaite une bonne lecture !

Samantha Anicot

Notes :
1 Miller J.-A., « Le partenaire-symptôme » (1997-1998), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 18 mars 1998, inédit.
2 Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 194.
3 Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 192.


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SOMMAIRE


- Liminaire, Samantha Anicot.

L’éveil du désir
- Un ado sur l’escabeau, Laurent Dupont.
- L’Éveil du printemps, quand le réel de la sexualité entre en scène, Lydie Lemercier-Gemptel.

Le particulier de la rencontre
- Sur un rêve analysé par Ella Sharpe, le phallus comme signifiant du désir, Francine Giorno.
- L’amour, du symptôme au partenaire sinthomatique, Dalila Arpin.
- La prison, faire couple avec la parole, Vaitiare Lyser.

Le désir en jeu, entre femme et mère
- La femme lacanienne : de Médée à la jouissance féminine, Clotilde Leguil.
- Médée de Pier Paolo Pasolini, Lydie Lemercier-Gemptel et Claire Pigeon.

Le désir de l’analyste
- Les noms de l’objet dans l’angoisse phobique de l’enfant, Serge Cottet.
- Élever le cas à la dignité du paradigme, Serge Cottet.

Interventions aux 47e Journées de l’ECF
- D’un vide de savoir au désir de savoir, Valérie Pera-Guillot.
- De l’inhibition au symptôme : sois belle et tais-toi, Marie-Claude Sureau.
- Un savoir en question(s), Ariane Ducharme.
- Masculinité féminine, Fabrice Bourlez.

In memoriam
- Quelques mots en souvenir de Judith Miller, Philippe Lemercier.
- Serge Cottet : une autorité authentique, Marie-Claude Sureau.
- Une rencontre, un hommage, Nathalie Hervé-Diop.

Kiosque
- À propos de La Pensée, Olivier Werner.
- La Pensée, à la recherche d’une frontière, Lydie Lemercier-Gemptel et Christelle Pollefoort.

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