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Publié le dimanche 3 décembre 2017

Hommage à Serge Cottet


Nous avons appris avec tristesse et douleur la récente disparition de notre collègue Serge Cottet. Serge Cottet était un psychanalyste à l’énonciation très originale, un chercheur et un enseignant hors pair, rigoureux et exigeant, qui a formé des générations d’étudiants au Département de Psychanalyse de Paris 8. Ses ouvrages et ses articles sont des classiques incontournables. Il va nous manquer dans l’ECF et le Champ freudien. Il était intervenu à plusieurs reprises en Normandie, dans le cadre de l’ACF Normandie et de l’Antenne clinique de Rouen. Alors, en son hommage et pour entendre encore sa voix entre les lignes, nous publions le commentaire des textes discutés qu’il avait improvisé lors de la Conversation Clinique de l’Antenne à Rouen en 2012. Nous adressons toutes nos condoléances à sa famille et ceux qui l’aimaient.

Marie-Hélène Doguet-Dziomba, Déléguée Régionale de l’ACFN
Jose-Luis Garcia-Castellano, Coordonnateur de l’Antenne Clinique de Rouen


ANTENNE CLINIQUE DE ROUEN
CONVERSATION
8 juin 2012 à Rouen

<big><center>Conclusion de la journée par Serge COTTET</center></big>


- Une nouvelle clinique

Je remarque que les six interventions ont été écrites dans le cadre d’un enseignement, d’une formation qui a privilégié la clinique moderne. Des sujets modernes, effectivement, qui ne vont pas voir spontanément un psychanalyste, et qui ressemblent à cette population à laquelle j’ai eu affaire au CPCT de Paris, par exemple, notamment, pour ce qui est du premier cas de la matinée, cette fille « addict au sexe ». On parlait de discrétion ; pourtant on a une clinique de la féminité pas discrète du tout, au-delà du démon de la pudeur, fonceuse, donjuanesque, et j’ai été vraiment surpris par cette clinique nouvelle qui consonne avec une certaine modernité de la jouissance, un pousse à jouir contemporain qui requiert peut-être des instruments nouveaux d’interprétation ; relativement au diagnostic il est impossible d’inscrire ce genre de sujet dans la rubrique de l’hystérie moderne, ce qui était le premier réflexe manifesté par les consultants de cette institution.

Est-ce que cette addiction pouvait s’inscrire encore dans le cadre de l’hystérie moderne, ou dans le cadre d’une manifestation moderne de la dérobade, ou de l’identification masculine de la fille ? Pas du tout. Comme on le voit dans le cas précédent, il s’agit de tout autre chose : soigner le pire par le pire et non pas par le père.

Tout le monde a fait l’effort, je crois, de choisir des cas que dans d’autres cliniques que la nôtre, on aurait appelé borderline ; et tous très spécifiques, très intéressants, et qui mobilisent le concept de psychose ordinaire. Je pense que nous avons eu affaire – si je ne me trompe – en récapitulant les six cas, à des cas de psychoses plus ou moins discrètes, mais chaque fois, on a établi un phénomène de désinsertion du symptôme par rapport à l’ordre symbolique. Un réel qui n’est pas régulé par le symbolique et qui met à rude épreuve le thérapeute – en tout cas son désir – puisqu’un certain nombre de postures, d’attitudes notamment interprétatives sont suspendues. Elles ne sont pas adaptées à ces situations-là, et de même que le sujet invente un symptôme, une suppléance, de même l’analyste doit réinventer la thérapie, doit inventer une stratégie qui n’est inscrite dans aucun manuel, ni de psychanalyse, ni de quoi que ce soit d’autre. Et là on constate une certaine solitude – il faut appeler les choses par leur nom – qui est sans recours. En tout cas, l’usage de la parole est délicat. Ce n’est pas la parole interprétative ; ce n’est pas non plus la parole directive, éducative, comme dans d’autres champs.

Le symptôme moderne n’empêche pas qu’on reconduise le syntagme lacanien qui date de 1955 dans le séminaire sur les psychoses, de « secrétariat ». Être « le secrétaire de l’aliéné », ce qui à l’époque de Lacan est décrié par la psychiatrie comme poussant au délire.

Au contraire, il fallait absolument séparer le sujet de son délire, soit par l’interprétation, soit par le médicament, mais en tout état de cause, ne pas donner libre cours à l’énonciation. Alors que le secrétariat implique un certain respect pour le discours quel qu’il soit, jusqu’au point où un certain nombre de limites sont quand même à poser, mais en tout cas, on constate que cette attitude qui caractérise les six thérapeutes qu’on a entendus aujourd’hui ne pousse pas au passage à l’acte – c’est déjà précieux ; le cadre est maintenu – un travail est possible ; il n’y a pas de phénomène de transfert délirant ni d’érotisation du transfert. On est surpris que pour des cas aussi difficiles le cadre analytique soit si bien toléré. Parce que je rappelle qu’à la même époque, Lacan considérait que – au moins un genre d’écoute ou une certaine position analytique ne faisait que déclencher la psychose chez le prépsychotique. C’est d’ailleurs un cliché qui a été maintes fois utilisé, y compris dans notre champ, pour déconseiller la psychanalyse du psychotique.

Alors, il faut s’entendre sur le terme « psychanalyse » ou « psychanalyste », et le terme « psychotique ». Quel psychotique ? On ne prendrait pas le président Schreber sur un divan. Mais enfin, dans le cas du jeune garçon, c’est la même chose ; c’est quand même lui qui fait le maître, mais ça n’exclut pas l’intrusion du psychanalyste dans son champ à condition d’un remaniement du signifiant psychanalytique, à condition de repenser toutes les stratégies.

C’était une première remarque sur cette nouvelle clinique. Comment peut s’y ajuster le thérapeute ?

- Se servir des syntagmes lacaniens

Je ferai une seconde remarque sur le rapport à la doctrine1.

Qu’est-ce que nous faisons de l’enseignement de Lacan, de la clinique lacanienne au contact des sujets que nous avons à entendre. On peut remarquer une grande discrétion des thérapeutes à l’égard des syntagmes lacaniens dans leur présentation des cas et dans leur effort de construction des cas. Ce n’est pas la première fois, et ça ne vaut pas que pour l’Antenne clinique de Rouen. J’ai une certaine pratique de l’enseignement avec des jeunes cliniciens, des jeunes analystes à la Section clinique, avant au CPCT, et très récemment encore à l’Atelier de psychanalyse appliquée qui est un dispositif qui permet exactement comme ici à des jeunes cliniciens d’exposer un cas de leur pratique ; je note un embarras, une difficulté à utiliser la réserve de syntagmes, de concepts que nous avons sous la main (comme le signifiant, l’objet a, le symptôme etc.), et qui nous sont transmis depuis que l’Ecole de la Cause Freudienne et le Département de psychanalyse existent.

Je n’ai pas la réponse à cette question. D’où vient cette discrétion, cette timidité à utiliser ces outils ?

Premier élément de réponse – si nous nous souvenons d’une règle que Lacan rappelle à l’occasion, au fond, on peut dire que c’est freudien : « Devant chaque cas particulier, oubliez la théorie ». C’est un idéal ; c’est une idée régulatrice. En fait, on ne peut pas oublier ce qu’on a appris, mais il existe peut-être un excès de scrupules à placer ce que l’on sait a priori sur ce que l’on découvre. C’est qu’effectivement, il y a une découverte à chaque fois. Les cas ne sont pas vraiment des séries ; ce sont des séries faites de discontinuités, aucun cas ne ressemble à un autre. Même pas des cas appartenant au même type. Lacan le fait remarquer dans Scilicet 5 dans l’introduction allemande aux Ecrits2 . Soit deux obsessionnels : ce que vous savez sur l’un ne vous sert absolument pas pour déchiffrer le symptôme de l’autre. C’est d’ailleurs dans cette page-là que Lacan rappelle l’axiome freudien : Oubliez la théorie chaque fois que vous rencontrez un cas clinique. Donc, c’est très bien de ne pas être encombré par un savoir ou des catégories, et d’être sensible à la nouveauté et à la singularité du sujet.

On est très surpris par la singularité des symptômes : le ferrailleur, quand même, c’est tout à fait extraordinaire ce que le sujet est capable de faire avec ce signifiant-là ; l’avant dernier cas, avec son bricolage « mélancolie – paranoïa », même De Clérambault n’avait pas pensé à ça. On découvre ces particularités. Et du coup, ça rend peut-être plus difficile la construction du cas, c’est-à-dire l’extraction d’un signifiant maître autour duquel toute l’observation va tourner, ou l’extraction d’un objet, d’un mode de jouissance, peut-être plus présent dans les observations.

- Un cas est toujours inégal…

Ce souci du détail clinique ne doit pas empêcher le capitonnage du récit. Il s’agit en effet de « toucher l’os de l’observation », d’appréhender ce qui fait qu’un cas est toujours inégal à un autre, et qu’il est inégal à son paradigme.

Vous pouvez comparer votre cas clinique à un paradigme – c’est ce que j’ai fait ce matin en prenant par exemple comme paradigme Schreber, ou comme certains l’ont fait en prenant comme paradigme Joyce (le « corps pelure » de Joyce) –, mais à condition de montrer en quoi le sujet n’est pas joycien ou schrebérien, ou jusqu’à quel point on peut considérer qu’il l’est. Comment, par exemple, la fille du cas numéro 1 surmontait sa séparation du corps, non pas par le signifiant du nom propre, « se faire un nom » comme Joyce, mais par une addition de jouissance. On peut considérer que le trait commun à tous ces symptômes, c’est qu’ils ne sont pas freudiens. Ce sont des symptômes nouveaux, isolés par Lacan dans son souci borroméen. C’est une clinique du détachement du réel du corps par rapport au symbolique.

Donc, on est très heureux de constater que des cas cliniques très précis nous font entrer dans ces nouveaux paradigmes. Le danger étant justement de rendre le cas clinique égal au paradigme. Mais je pense que c’est de bonne construction d’en chercher un quand même.

Et pour le dernier cas par exemple, pour le « Monsieur discret », on peut se demander ce qu’une autre clinique que la nôtre dirait. Vous pouvez être sûr que, présenté à l’IPA, on en fait un obsessionnel. Ce n’est pas ce que nous pensons. Pourquoi selon nous l’ambivalence signifiante que vous avez fait remarquer – qui s’attache à ce que j’ai appelé des oxymores, « le point d’appui flottant » –, ne traduit pas une ambivalence à l’endroit du père. Pour Freud, le résultat de l’ambivalence, c’est le doute qui est une défense contre une certitude. Or, chez ce patient, il n’y a absolument aucune défense contre une certitude. Il se protège de cette certitude non pas par une gymnastique intellectuelle ou par des circuits signifiants aberrants du genre de « la dame de la poste » (Cf. L’homme aux rats). Il s’en protège comme il peut par l’imaginaire du costume, mais là, on est dans le réel.

- Elever le cas à la dignité du paradigme

Donc, oubliez la théorie pour le cas, jusqu’à une certaine limite, mais on ne peut pas oublier le paradigme auquel le cas fait penser avant de l’en distinguer.

Le mieux serait, comme Lacan le fait pour « la belle bouchère », d’élever le cas lui-même au paradigme. Là, c’est tout de même un exercice supérieur. S’il y avait une agrégation de psychanalyse clinique – heureusement que non – il faudrait demander au candidat : est-ce que vous pouvez élever votre cas au paradigme ? C’est-à-dire en faire un paradigme joycien, comparativement au paradigme à quoi sert la belle bouchère. Un nouveau paradigme de la mélancolie, un nouveau paradigme de la paranoïa. Trouver dans le cas une création sui generis. Et il semble vraiment que dans les cas entendus ce matin et cet après-midi, il y a vraiment de quoi faire. En particulier la formule trouvée par notre collègue tout à l’heure : « Je suis à condition que je ne pense pas ». Là, vraiment, on voit répéter ça à foison dans les derniers séminaires de Lacan à propos du cogito cartésien. Mais ici, c’est vraiment animé par une énonciation et par la relation du sujet au signifiant de la pensée. C’est un « ne pas penser » qui est assimilé au bonheur. Ce en quoi il rejoint une certaine idéologie contemporaine du bonheur. Ne pas se compliquer la vie, et pour ne pas se la compliquer, la supprimer. Et donc le ratage lui-même est contenu dans l’acte suicidaire : pour que ça réussisse il faut que ça rate ; quand c’est raté, à ce moment-là, il est dégagé de toute responsabilité. Il n’a plus à se forcer pour être heureux. Donc l’horizon, l’idéal, serait de réussir à élever le cas au paradigme.

- Une voie méthodique…

Enfin, pour y parvenir, c’est un corollaire mais il est exigeant, cela supposerait de mettre en tension un paradigme connu et le cas que vous exposez, et de le mettre franchement en contradiction comme fait Freud pour la paranoïa féminine en 1915, dont je rappelle seulement le titre très éloquent : « Un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie3 ».

Il y a là une voie méthodologique fructueuse. Au lieu de dire : mon patient est joycien et d’attraper tous les symptômes qui en font un joycien ou un président Schreber, il va s’agir au contraire, de montrer en quoi une invention symptomatique résiste au syntagme auquel on est invité à le comparer, au syntagme qui s’impose dans la doctrine. Vous me direz, Freud retombe sur ses pieds. C’est le côté psychanalyste : « Face, je gagne, pile tu perds », le psychanalyste a toujours raison. Freud dit : De toute façon, j’avais raison, le persécuteur est l’idéal du moi, mais à condition qu’il soit du même sexe. Or, là, il y a une butée. Il s’agit d’une vraie paranoïaque, mais son persécuteur est un homme – c’est son compagnon – c’est le type qui essaie de lui faire l’amour. Ensuite il devient persécuteur et on trouve ça normal ; et bien non, ce n’est absolument pas normal, selon la doctrine, que le persécuteur ne soit pas du même sexe. Donc, il faut poursuivre l’investigation, et à la fin, on trouve la mère qui est l’agent d’un complot avec l’amant de la fille comme complice.

Alors pourquoi pas. Le mieux est de retomber sur ses pieds, mais quand même, je trouve qu’il y a là une leçon méthodologique de mettre en tension les habitudes cliniques incarnées dans un paradigme, pour souligner l’invention, l’inventivité du symptôme. À charge pour les exposants de trouver le bon nouage qui permet d’unifier, de rassembler tous les éléments présentés. Il y a un reste, et c’est très précisément ce reste qui fait tout le charme de ces cas.

- Témoigner de son énonciation

Enfin, je disais que la plupart des cas s’inscrivaient dans la rubrique psychose ordinaire, c’est certain, mais ce n’est pas une facilité quand même. On l’a montré pour la thérapie. Que faire ? Que dire ? Comment produire des suppléances ? Ce n’est pas évident.

Deuxièmement, est-ce que ça dispense forcément de la parole interprétative ?
C’est vrai que nous avons comme axiome de ne pas interpréter dans la psychose, mais enfin, quand même, il y a quelque chose à dire. Même aux autistes. Lacan dit : Il y a quelque chose à leur dire. Cela a toujours un côté extrêmement vivant lorsque l’analyste, le jeune clinicien nous dit ce qu’il a dit, à un moment donné, et comment cela a permis de rétablir un dialogue.

Et je crois qu’il ne faut pas s’en priver, et qu’il faut intégrer dans les exposés de cas une courte séquence de dialogue avec le patient comme vous le faites dans le passage où vous lui dites : « Mais vous, où est-ce que vous êtes là-dedans ? » Vous cherchez à l’impliquer et vous nous montrez la réaction d’angoisse que ça produit ; ça me parait très précieux aussi de mettre à plat non seulement la stratégie du thérapeute, mais aussi son énonciation. Qu’au moins, à travers son énonciation, on puisse repérer le désir de l’analyste – précisément ses moments d’intervention, la structure de sa propre énonciation qui donne une vue sur sa propre direction des opérations.

Transcription Eric Guillot
Texte établi avec la participation de Martine Desmares
Non revu par l’auteur

Notes :
1 Voir à ce propos l’article de S. Cottet : « Un bien dire épistémologique », paru dans La cause freudienne numéro 80, Navarin, 2012, p. 16. (NDRL)
2 Lacan J. « Introduction à l’édition allemande dans un premier volume des Ecrits », Autres écrits, Seuil, 2001, p. 553.
3 Freud S. « Communication d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique », 1915, Névrose, psychose et perversion, PUF.


Pour entendre Serge Cottet parler de son livre {L'inconscient de papa et le nôtre


Quand Serge Cottet présentait son ouvrage L’inconscient de papa et le nôtre - contribution à la clinique lacanienne paru aux éditions Michèle.


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