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Publié le jeudi 19 janvier 2017

Souffrances au travail chez les soignants

Du forum psy à la Déclaration...

Un texte de Lydie Lemercier-Gemptel

Le 7 janvier dernier s’est déroulé avec succès, au cœur de Rouen, le Forum Psy « Souffrances au travail chez les soignants ». Malgré le froid, une pluie verglaçante, le public fut en effet nombreux (109 participants), attentif, issu de secteurs professionnels divers, beaucoup du champ social et de la santé dont de nombreux jeunes praticiens.

Le long de cette journée où régnait une ambiance dynamique, chaleureuse, il y eut de nombreux temps forts tels les témoignages sensibles de Fethi Bretel, médecin, Martine Desmares, sage-femme, pour dire l’insupportable du conflit éthique auquel certains praticiens sont confrontés face à la logique gestionnaire de l’hôpital, l’engagement décidé de Bruno Ricque, cadre de santé syndicaliste, pour dénoncer les réformes structurelles de la Loi Santé d’avril 2015, interroger notamment certains termes du dernier rapport relatif à la Santé Mentale de Michel Laforcade. Comment entendre, en effet, «  Mieux vaut bien vivre sans être guéri que d’être enfermé dans le soin en attendant une guérison qui ne viendra pas1 » lorsque les services de psychiatrie sont sur-occupés, d’autres fermés par mesures d’économie dans le cadre de la mise en place des Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT) et de la mutualisation des moyens, dispositions qui tendent ainsi à déshumaniser le personnel soumis au surmenage, à l’épuisement ! La plupart des Centres Hospitaliers Spécialisés, selon Valérie Pera-Guillot, psychiatre hospitalier et psychanalyste, étaient opposés au GHT mais y ont été intégrés malgré tout en vue d’améliorer le parcours de soins du patient. Les recommandations des bonnes pratiques, définies hors clinique et hors pratique professionnelle, souligne Marie-Hélène Doguet-Dziomba, privent les professionnels de leurs outils, remettent en cause leur expérience, leur savoir-faire ; c’est une atteinte véritable à l’épistémologie, à la déontologie. Des éléments étrangers (budget, objectifs chiffrés, quantification des actes...) parasitent ainsi le discours médical et entravent la fonction même d’accueil de l’hôpital et sont source de violences voire de suicides chez les soignants et les patients. Plus l’objet du travail disparaît derrière les protocoles, plus l’angoisse augmente chez les soignants qui perdent alors le plaisir de la rencontre, de l’invention, de la surprise. La protocolisation du soin, l’hypertechnicisation peut absorber la personne malade jusqu’à, dans certains cas, annihiler sa singularité. De s’attaquer ainsi au particulier, à l’intime, « l’offre de soins » disparaît au profit de « l’offre de santé ». Sommes-nous alors dans l’ère de la « santé sans soins » ? Cette souffrance au travail a son historique. Notée d’abord dans les sociétés capitalistes comme Orange, Télécom, rappelle Jean-Louis Woerlé, puis La Poste puis dans les secteurs médico-sociaux, éducatifs, elle s’étend désormais jusque dans la santé ! Les hôpitaux, considérés comme entreprises privées, sont ainsi dotés des mêmes maux, reflets de ces mêmes effets de rupture, de restructuration, dislocation du travail portés par le discours du maître !

Malgré cet impératif du chiffre imposé par les tutelles, certains responsables d’établissement, Jean-Marc Hache (MECS2), Dominique Marieditchatel (EHPAD3), désirs incarnés, défendent une certaine orientation dans le travail auprès des équipes pour maintenir « ce jeu », cette « capacité de rêverie » tandis que d’autres, psychologues, tout comme le relate Samantha Anicot, par des interventions patientes et régulières créent, dans cette ambiance morose, des ilots de résistance pour défendre la place, la fonction du symptôme. C’est de cette clinique au un par un, dont témoigne Anne Ganivet-Poumellec, membre de l’Association Souffrances au travail, là où les conditions de travail se nouent aux coordonnées familiales d’un sujet en proie à une jouissance mortifère qui par l’écoute et l’intervention d’un analyste, rectifie par lui-même ce qui aurait pu être destin funeste. La souffrance au travail se déplie ainsi au singulier tandis qu’Antonin Commune, psychologue dans un service de Santé au travail, introduit des signifiants nouveaux pour souligner cette demande paradoxale du travail, de toujours y échouer ! Ainsi, si chaque professionnel s’efforce d’adapter au mieux sa pratique aux nouvelles exigences, d’y « échouer » ou d’être confronté au « ratage » inexorable, c’est là l’occasion d’inventer, de développer certains savoir-faire, « ficelles du métier » tricotées, tressées si seulement cette invention est accueillie ! Cette attention portée au divin détail, ponctue Serge Dziomba, est un trait propre au travail de l’analyste qui peut ainsi nommer, faire exister ce qui est train d’advenir, et de cette surprise, autoriser chacun à en élaborer un nouveau savoir. C’est peut-être là, en effet, que la psychanalyse peut jouer sa partie : trouer, redonner un peu de vie, par un jeu de semblant rendu alors possible pour tenter de contrer la férocité du Surmoi contemporain.

Si la psychiatrie se modélise sur la médecine organiciste avec ses praticiens prescripteurs de la bonne molécule là où la parole est étouffée, paradoxalement, le sujet semble être davantage entendu, pris en compte, dans les services très médicalisés, protocolisés. Corinne Veyret, médecin oncologue, évoque son respect lors de l’annonce de la maladie, du temps subjectif, des réactions propres à chaque patient. Si la médecine classique est branchée sur la science qui postule qu’il y a toujours une réponse, devient-elle plus subversive lorsqu’elle est confrontée à l’impensable, à la mort, ce devant quoi il n’y a pas de réponse standardisée, il n’y a de réponse qu’au singulier ? Les psychologues, Nathalie Hervé-Diop, Elodie Guignard, sont sollicitées à accueillir ce singulier, un lieu où chaque patient peut venir construire son propre savoir sur l’innommable ailleurs que dans la rencontre avec le médecin. Est-ce là également le reflet du mouvement pendulaire fermeture-ouverture de l’inconscient ? Demain, le dictat des chiffres, des protocoles, des bonnes pratiques dans un univers aseptisé laissera-t-il, à nouveau, la place à l’écoute du surgissement du singulier qui lui ne cesse pas ? Alors si la psychanalyse n’est pas nommée, voire si elle est rejetée, condamnée, méthode non consensuelle ou interdite, sera-t-elle demain à nouveau sollicitée face aux impasses de la crise de civilisation mais avec des signifiants nouveaux, ceux de notre modernité ? La psychanalyse résiste, elle est aussi en mouvement, bousculée par ce trou face auquel elle doit elle-même inventer...

Cette journée fort riche s’est achevée sur une Déclaration des 109 (« Du sang neuf » ont ri certains, un mot d’esprit ouvrant à du nouveau, bien dans la veine de cette journée de travail !) pour dénoncer toute décision susceptible de porter atteinte à notre éthique professionnelle et à la clinique, soutenir les soins particularisés et poursuivre cette action par des réunions en réseaux professionnels afin de faire connaître ce qui se met en place dans les différents secteurs, faire circuler les informations. La mobilisation ainsi se poursuit pour donner un souffle de vie, « du sang neuf » et relancer le désir afin qu’ensemble, chacun puisse dire : « La santé sans soins ne passera pas ! » Le « Réseau des professionnels du soin particularisé » est né, « une belle invention » a ponctué plus tard Gil Caroz à la lecture de l’événement, un réseau pour maintenir notre orientation.

Lydie Lemercier-Gemptel

Notes :

1 Michel Laforcade, Rapport relatif à la santé mentale, octobre 2016, p. 5.
1 Maison d’Enfants à caractère social.
1 Etablissement d’hébergement pour Personnes Agées Dépendantes.

Pour faire suite au Forum psy « Souffrance au travail chez les soignants », on peut :
- Lire la Déclaration adoptée par l’assemblée du Forum psy
- Lire le compte-rendu de Lydie Lemercier-Gemptel, Du forum psy à la déclaration
- Ecouter ou réécouter plusieurs intervenants du Forum

On peut aussi lire :
- L’appel qui présentait le forum,
- La psychiatrie, malade de ses réformes, un article de Valérie Pera-Guillot paru dans Lacan Quotidien 598,
- Vivent les réunions, un article de Francine Giorno,
- Souffrances au travail : s’orienter avec la psychanalyse, un texte de Marie-Hélène Doguet-Dziomba.
- Un nouveau défi pour le CMP : la gestion de la liste d’attente, un texte de Lydie Lemercier-Gemptel.

Les membres de l’ACF-Normandie ont accès à :
- Actualité du transfert négatif à Souffrances au Travail, un texte de Anne Ganivet-Poumellec ;
- L’APP, nécessairement orientée par la psychanalyse, un texte de Simon Estienne.

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