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Publié le mercredi 7 décembre 2016

Prise en charge de l’autisme : oui au libre choix de la méthode de soin, non à l’interdiction de la psychanalyse

Au cœur de l’école inclusive

Lettre ouverte de Marie Izard Delahaye, psychologue en milieu scolaire

J’ai lu avec effroi votre proposition, Monsieur Fasquelle, puis je suis allée vous écouter, entendre votre voix, saisir de plus près votre énonciation, pourquoi tant de haine ? Cette proposition n’est que l’un des maillons de la machinerie en place visant à réduire au silence les psychanalystes et ceux qui s’en orientent. Vous vous attaquez à notre désir, notre désir décidé, mais aussi à celui de tous ceux qui souhaitent que leurs enfants bénéficient d’un accompagnement de type psychanalytique. Et vous avez cru que l’on resterait sans voix ? Alors que répondre face à de telles attaques haineuses ?
La retraite, le repli, non ce n’est pas pour nous !

A l’école, jour après jour depuis plus de trente ans, je suis accompagnée dans ma pratique par l’orientation psychanalytique et je dois avouer que sans cette boussole, je ne sais comment j’aurai pu supporter ce qui s’y passe et en particulier depuis la loi de 2005 sur le handicap. Pourquoi ? Parce que l’école inclusive, ça demande du temps, de la délicatesse, une attention soutenue à l’autre, ça demande de pouvoir entendre, supporter le rejet, la difficulté, la peur, l’angoisse, l’hostilité, l’agressivité, ça demande d’accueillir tout ça avec bienveillance : c’est tout un art de faire de l’école inclusive une école accueillante, de faire le pari qu’une rencontre est possible, malgré ces premiers temps parfois qui réduisent le parents, l’enfant ou l’enseignant, l’auxiliaire de vie scolaire à l’impuissance. Sortir de l’impuissance est possible quand on commence à cerner justement ce qui est du côté de l’impossible, parce qu’il y a de l’impossible !

Il ne suffit pas de décider de façon péremptoire, injonctive, que l’école doit être inclusive, encore faudrait-il savoir de quoi l’on parle ! Alors je vais prendre ce temps.

Un exemple tout neuf, je découvre ce matin « l’inclusion » d’un enfant autiste de huit ans dans une classe maternelle à trois niveaux avec des enfants de trois ans à cinq ans. J’y allais pour travailler à l’accueil de la singularité de quatre autres enfants. L’IME concerné a considéré qu’il fallait suivre les injonctions d’inclusion et tout un petit monde a décidé, sans tambour ni trompette, que ce serait dans telle école et telle classe. Inutile de vous dire (enfin si c’est utile car manifestement vous ignorez ce qui se passe sur le terrain, vous ignorez le travail énorme que nous faisons), dans quel émoi, embarras se trouve l’enseignante.

Pas question pour nous de dire non à cette inclusion, mais nous allons juste réfléchir, travailler à plusieurs, parler avec l’enseignante spécialisée qui accueille déjà cet enfant, bref nous avons la tâche de nous intéresser à la singularité de cet enfant car sans ce travail précieux de fourmi, comment l’enseignante pourrait-elle garder l’enthousiasme qui fait la joie de son métier ?

Une école inclusive ça se construit avec chacun. Accueillir toute la journée un enfant « autiste » (mais bien souvent n’ayant jamais été désigné comme tel encore par un médecin) qui ne parle pas, qui crie, hurle quand on l’approche, refuse de rester dans la classe, eh bien ce n’est pas possible. Alors il faut un long travail pour repérer les circuits possibles permettant un apaisement, un lent travail pour que l’enseignante réalise souvent avec bonheur qu’elle avait déjà capté un petit quelque chose, un petit fil qu’elle pouvait attraper ; et beaucoup de temps encore pour parler avec les familles, qui souffrent, qui sont dans la difficulté pour faire garder leur enfant que nous ne pouvons accueillir à temps plein parce l’enfant n’est pas en mesure d’y consentir.

Alors oui, venez en classe, venez au sein de l’école inclusive vous y découvrirez aussi des moments de pur bonheur, suscités par les trouvailles et inventions des uns et des autres. Vous découvrirez peut-être Abdel, petit garçon turc « autiste » qui ne peut rester dans la classe, il déambule avec son AVS dans les couloirs, s’arrête parfois dans une classe, s’y installe, prend un jeu, repart et jamais ne parle ;
Mais il y a peu, l’AVS l’entend parler seul, en anglais. Cette langue n’est pas parlée à la maison, c’est la langue de la tablette, celle de ses jeux sur lesquels il est branché, appareillé, langue énoncée par une voix dont la dimension d’énonciation est exclue. Alors la psychanalyse nous enseigne que soutenir cette solution peut permettre à ce jeune enfant de se tenir dans le monde. Chacun s’y met, quelques mots sont échangés maintenant avec son AVS, en anglais, la maitresse use de cette langue pour tenter une adresse auprès de lui.

Alors quand je vous entends dire non, vociférer que la psychanalyse est inefficace et est à éliminer, ça ne me fait pas rire, et c’est insupportable. Alors que vous le vouliez ou non, Monsieur Fasquelle, je continuerai à travailler ainsi !

Marie Izard Delahaye
Psychologue scolaire
Membre de l’ACF-Normandie


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