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Publié le dimanche 24 avril 2016

En vue de la Journée du 11 juin « Enfants singuliers, Institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique. Qu’en dit la psychanalyse ? »

Un nouveau commentaire du texte de Gracia Viscasillas

Un texte de Jeanne Spiess

Gracia Viscasillas expose, d’une façon qui les rend tangibles au lecteur, les modalités de travail d’une équipe, auprès de très jeunes enfants, autistes ou qui présentent des « traits » autistiques, ainsi qu’auprès de leurs familles.

Si l’intérêt premier de ce texte est certainement d’éclairer celui qui s’implique dans une clinique auprès de ces enfants-là, il a également celui de mettre au travail les représentations de chacun sur ce que peut être une pratique orientée par la psychanalyse.

Il rend compte de la subtilité d’un travail qui vise ce que chacun souhaiterait pour son enfant – qu’il puisse vivre apaisé, avec les autres, apprendre … - en reconnaissant la position autistique comme une modalité subjective à respecter1 afin de mieux accompagner l’enfant.

Des centres d’éducation d’enfants orientés par la psychanalyse ?

Ce texte nous donne à penser comment une approche de l’autisme orientée par la psychanalyse peut venir soutenir des objectifs éducatifs.

Patinete est une institution « éducative » dans ses axes de travail, dans ce qu’elle vise à soutenir chez le petit sujet : qu’il puisse « s’intégrer », « apprendre », « réguler ce qui le déborde ».

Ainsi, Gracia Viscasillas témoigne du travail qui est fait sur la socialisation, lequel se décline en plusieurs objectifs : sortir l’enfant de son isolement, soutenir la rencontre avec les autres, le « respect de la petite particularité de l’autre », le consentement aux normes de l’Autre, ou encore, l’inscription dans l’espace, le temps et les activités des autres.

Il y a aussi pour l’enfant à se construire « dans la rencontre avec son propre corps », à « ap-prendre » quelque chose du langage, du savoir symbolique commun (voir par exemple la vignette clinique à propos de l’introduction d’un enfant à la lecture).

Si les axes de travail sont éducatifs, leur mise en œuvre ne consiste pas à enseigner des conduites à l’enfant mais plutôt à « (…) valoriser les stratégies de travail, les réactions de l’enfant, en cherchant toujours une logique à son travail  ».

A Patinete, la poursuite des objectifs éducatifs est pensée comme intimement liée à l’enjeu de la construction subjective de l’enfant. L’institution ne fait pas l’économie de ce travail fondamental, lequel participe, je crois, à ce que certains enfants ayant des « traits autistiques » ne deviennent pas autistes, comme le souligne l’auteure.

Le travail d’observation

Gracia Viscasillas souligne l’importance du travail d’observation de ce que donne à voir l’enfant, lequel relève souvent d’une clinique du détail comme en témoignent les exemples.

Ici, les comportements observés, même les plus « bizarres », sont considérés2 comme ayant une fonction pour le sujet : la déambulation initiale peut contribuer à ce qu’il se repère dans l’espace et les temps de l’institution, les activités répétitives contribuent à border l’angoisse, se boucher les oreilles ou soustraire son regard permettent à l’enfant de se protéger de la relation vécue comme intrusive …etc. Dès lors, l’objectif de travail ne peut éthiquement être de faire renoncer l’enfant à ces comportements. Le travail à Patinete consiste à les utiliser comme leviers pour favoriser la rencontre, les apprentissages, la construction corporelle …etc.

Les modalités d’accompagnement

Soutenir l’émergence du sujet et de l’Autre, la possibilité d’une rencontre

Au principe du travail avec ces enfants, il y a le respect de leurs productions et intérêts spontanés auxquels on apporte le crédit de relever d’une logique subjective. C’est déjà une façon de supposer le sujet.

Il ne s’agit pas de laisser l’enfant seul avec son corps et ses objets mais bien de « lui répondre » à partir de ce qu’il met en acte : « nous faisons semblant d’un accusé de réception de son acte comme d’un dire (…), nous nous situons comme adresse de ce dire, et lui assignons l’intentionnalité qui définit le sujet. (…) Grâce à notre réponse, l’enfant apprend que son action a des effets sur le monde, monde incarné dans ce cas par l’adulte qui l’accompagne ».

Comme l’illustre la transformation de l’activité répétitive solitaire d’un enfant en « conversation », cette façon de soutenir l’émergence du sujet contribue à la naissance de son Autre et donc à la possibilité d’une rencontre avec lui. De même que le cri brut du bébé est transformé en appel adressé lorsqu’il a rencontré la réponse de l’adulte maternant, le fait d’accuser réception et de répondre à l’enfant autiste à partir de ses productions a pour effet qu’il en adresse ensuite quelque chose à l’autre, qu’il réponde à son tour.

Rendre possible la rencontre

A Patinete, l’équipe prend soin de faire en sorte que l’enfant puisse tout à la fois consentir à la rencontre et accéder aux normes et codes qui permettent de s’inscrire dans un vivre ensemble.

Il s’agit d’opérer des « tentative(s) non intrusive(s) de produire la rencontre », en recherchant « non sa soumission mais son consentement ». L’auteure explicite des façons d’y parvenir :

-  Indiquer à l’enfant « qu’il (y) a un lieu  » pour lui où se loger, lieu matérialisé par les espaces de l’institution, les activités proposées, et l’attention que les adultes lui portent, sans exiger de lui qu’il s’y inscrive selon un temps et un protocole préétablis.
-  Partir de ses intérêts.
-  Inventer des modes d’adresses qui ont des « effets d’apaisement et d’écoute » : chansons appréciées par l’enfant, formules de politesse excessives ; énoncés formulés pour d’autres enfants ou d’éducateur à éducateur, plus tolérables en ce qu’ils constituent des adresses indirectes moins intrusives et qu’ils énoncent une loi qui vaut pour tous.
-  Se faire un partenaire suffisamment consistant et nécessairement décomplété comme cette éducatrice qui soutient l’enfant dans son appréhension du langage écrit en « se trompant ».

Ces « principes de travail » sont d’autant plus opérants que l’enfant peut tout à la fois les retrouver incarnés, par les différents adultes de l’institution, et par celui avec lequel il entretient une relation privilégiée et auquel l’institution donne les moyens de lui porter une attention individualisée bordée par le travail à plusieurs.

L’institution prend soin de favoriser une relation tempérée avec l’Autre mais aussi avec les pairs. Il s’agit par exemple de médiatiser la présence des autres par un objet de prédilection de l’enfant qui constitue aussi l’intérêt partagé, de lui attribuer une place de choix dans ce rapport collectif à l’objet, d’inventer avec lui les conditions qui lui permettent de supporter d’articuler cette place à celles des autres.

Réguler le trop de jouissance

« L’essence de l’institution est de réguler la jouissance, justement ce qui déborde ces enfants ».

A Patinete, c’est tout le travail d’inscription de l’enfant dans un circuit pulsionnel qui inclut l’Autre, et celui visant son consentement aux normes de l’institution qui constituent des moyens de réguler ce qui le déborde.

Cela consiste aussi à « prendre en compte et respecter ce qui leur sert à mettre de l’ordre dans leur monde », en favorisant par exemple le travail à partir de l’objet de prédilection de l’enfant, tout en prenant soin d’en réguler sa « face d’envahissement3 » (mettre par exemple hors de portée l’objet « qui parfois inquiète »).

Un « savoir-être » qui nécessite un travail à plusieurs

Ces modalités de travail ne relèvent pas d’un savoir-faire qui préexiste à la rencontre avec le sujet. Elles impliquent un « savoir-être » si difficile à trouver, à tenir parfois, en lien au vécu d’impuissance – au dérangementsup>4 - auquel peuvent nous confronter les comportements de ces enfants (être ignorés, impuissants à apaiser les angoisses…etc.). « La bonne volonté ne suffit pas ».

Gracia Viscasillas souligne là l’importance d’une pratique à plusieurs qui transforme les questionnements et le désarroi en hypothèses sur le fonctionnement du sujet, en orientations de travail. A Patinete, celle-ci s’opère au cours de travaux théorico-cliniques communs et de réunions d’équipe cliniques régulières.

Conclusion : Enfants singuliers, institutions dérangées5

Le texte de Gracia Viscasillas nous enseigne comment une institution et les professionnels qui y travaillent peuvent se laisser déranger par les productions du sujet pour mieux les accueillir, les penser, cheminer avec lui vers des solutions qui arrangent ce qui l’agite, son rapport aux autres… Une pratique de la « remise en question6 » au service du sujet, bien éloignée d’un discours de la certitude et du savoir. Alors écoutons les familles, écoutons les autistes7, écoutons aussi les professionnels qui s’engagent dans leur être et dans leur corps auprès de ces enfants. Ne réduisons pas ces questions importantes du repérage et de l’accompagnement des enfants autistes à des clichés ou à des généralités.

Nota Bene sur la question du diagnostic et de « l’évaluation »

Faut-il « étiqueter » les particularités de l’enfant et à quel moment ? Il me semble, que c’est le respect du « tempo du sujet et de sa famille » qui devrait présider à forger une réponse au cas par cas, plutôt qu’une recommandation générale qui vaudrait pour tous. D’une part, l’évolution de l’enfant peut être une condition nécessaire à la détermination d’un diagnostic, ce d’autant plus qu’il est jeune. D’autre part, la question du diagnostic n’émerge pas de la même manière et selon la même temporalité selon les parents. Il est certes important d’entendre leurs inquiétudes au plus tôt ou de les accompagner dans le repérage des particularités de leur enfant afin que celui-ci puisse bénéficier au plus tôt d’une « attention spécialisée », de considérer les parents comme des partenaires ayant un savoir sur leur enfant qui compte dans le travail visant à saisir son fonctionnement et à orienter son accompagnement.

Le texte de Gracia Viscasillas illustre comment un travail opérant avec un enfant autiste ou avec « traits autistiques » est moins conditionné à un diagnostic nosographique (à une « étiquette ») qu’à un « diagnostic fonctionnel ». A Patinete, celui-ci repose sur des observations prélevées dans la rencontre, celle-ci étant marquée par une écoute attentive des productions spontanées de l’enfant. Il me semble important de considérer toute la pertinence de cette modalité « d’évaluation du fonctionnement de l’enfant », autre, certes, que la modalité d’évaluation à un temps t à partir de tests standardisés actuellement privilégiée dans les recommandations officielles8. Une observation régulière menée au sein de l’institution qui accompagne l’enfant, renouvelée à mesure de ses évolutions, s’inscrit dans une temporalité propice à relever les détails signifiant les endroits où l’enfant est au travail. De plus, là où l’enfant peut être en peine d’exprimer ses compétences quand il est confronté à la demande de l’autre (demande inhérente à une certaine utilisation des « tests »), « si on est attentif, c’est lui qui nous dira ses compétences9 » au travers de son usage des objets, de l’espace et de son corps.

Jeanne Spiess, psychologue


Notes :

1 Le terme « respect » est souligné par Gracia Viscasillas dans sa conclusion, comme un souhait qu’il puisse être au cœur du travail de chacun avec l’enfant et sa famille.
2 Ce terme renvoie à la fois à la notion de conception (des comportements autistiques) ainsi qu’au respect qu’elle implique.
3 Voir, Stevens A, « L’enfant et les objets du monde contemporain », La petite Girafe N°28, p.27, à propos de l’objet autistique.
4 Référence au titre de La journée clinique et d’étude du 11 Juin 2016 dans la cadre de laquelle le texte de Gracia Viscasillas est travaillé : Enfants singuliers, institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique : Qu’en dit la psychanalyse ?
5 Ibid
6 Expression utilisée par plusieurs professionnels dans un autre témoignage, celui du travail d’une équipe pluridisciplinaire en Institut Médico-Educatif à Bayeux : « Une belle aventure ou une unité d’accueil pour enfants autistes et déficients Equinoxe selon l’approche intégrative ».
7 Référence à l’article de J-C. Maleval. « Ecoutez les autistes ! », La règle du Jeu, 15 Février 2012.
8 Fédération française de psychiatrie, Haute Autorité de Santé. Recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de l’autisme, 2005.
9 Commentaire d’Éric Laurent à l’occasion de la Conversation clinique du 21 Juin 2014, de l’Antenne clinique de Rouen.

Pour préparer la journée « Enfants singuliers, Institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique. Qu’en dit la psychanalyse ? », on peut aussi découvrir la présentation de la journée du 11 juin ou lire le texte de Gracia Viscasillas « Le travail avec des enfants autistes dans les Centres d’Education d’enfants Patinete à Saragosse » ou encore le texte de Lydie Lemercier, « Au bord de l’Autre... la singularité d’une invention » ainsi que le commentaire de David Coto ou le texte de Jean-Maleval et Michel Grollier L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion ou le texte de Serge Dziomba, Réflexions autour de la supervision et l’analyse des pratiques professionnelles en institutions.

Les membres de l’ACF-Normandie peuvent aussi lire les deux textes de Gracia Viscasillas Au bord de l’Autre et Un regard qui aveugle, ainsi qu’au texte de Laurence Morel Rendre la rencontre possible et à celui de Nathalie Herbulot L’enfant sauvage en Stan Smith ou le texte de Marie Izard Delahaye Trouver la bonne formule ou le texte de Corinne Jean Dylan, un enfant à fleur de peau, accessibles dans la zone Abonnés.

Télécharger le texte de Jeanne Spiess :

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