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Par activités


Publié le mardi 1er mars 2016

En vue de la Journée du 11 juin « Enfants singuliers, Institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique. Qu’en dit la psychanalyse ? »

Le travail avec des enfants autistes dans les Centres d’Education d’enfants “Patinete” à Saragosse

Un texte de Gracia Viscasillas

Ce texte est le premier autour desquels nous allons travailler pour préparer notre Journée du 11 Juin au Havre autour du thème
Enfants singuliers, Institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique. Qu’en dit la psychanalyse ?

Vous aurez bientôt des nouvelles de cet évènement important !

Gracia Viscasillas, psychanalyste à Saragosse, est membre de la ELP. Elle sera notre invitée le 11 juin.

Le travail avec des enfants autistes dans les Centres d'Education d'enfants “Patinete” à Saragosse

Nous sommes à l’époque de la détection précoce. Ceci a l’avantage de permettre aux enfants de recevoir plus rapidement une attention spécialisée, mais cela comporte l’inconvénient de les étiqueter, de les classifier plus tôt. Cette classification n’est pas anodine car elle oriente le regard porté sur ces enfants dont les comportements sont alors expliqués à partir de l’étiquette qui leur est accolée et non à partir de la subjectivité de l’enfant et de sa famille.

C’est pourquoi nous nous sommes distancié des étiquettes en choisissant, pour notre intervention, de parler du travail que nous réalisons avec des enfants « autistes », sachant que ce terme ouvre le champ sans le figer, en intégrant aussi bien des enfants susceptibles d’être diagnostiqués autistes que des enfants qui présentent certains traits pouvant suggérer l’autisme – la prudence nous conduit à ne pas apposer trop vite cette étiquette et à mettre en route un travail autour de l’enfant et de sa famille en étant attentifs à leur évolution, ayant constaté que celle-ci ne débouche pas systématiquement sur de l’autisme. Nous devons tenir compte du fait qu’au cours de ces dernières années, il y a eu une vulgarisation du terme « autisme » et que lorsque les parents le rencontrent, ce n’est pas sans conséquence sur le mode de relation qu’ils établissent avec leur enfant.

Notre établissement « Patinete » comprend deux centres : un jardin d’enfants et un centre d’éducation d’enfants, dans lesquels nous accueillons des enfants de quelques mois jusqu’à 3 ans, avec la possibilité d’une prolongation jusqu’à l’âge de 5 ou 6 ans, dans les cas les plus graves.

Un lieu privilégié pour rendre possible la rencontre

Dès le départ, nous avons pensé qu’un jardin d’enfants était l’endroit privilégié pour favoriser la rencontre, autant avec et entre les enfants qu’avec leur famille. Un lieu privilégié à condition de le considérer comme tel et de mettre les moyens pour que cette rencontre puisse avoir lieu.

Le premier de nos centres a ouvert ses portes il y a déjà vingt trois ans de cela. Cependant, dès l’année d’avant, l’équipe s’était réunie régulièrement pour travailler des textes concernant l’enfance et le sujet à partir d’une orientation psychanalytique lacanienne, orientation qui marque le travail de « Patinete ». A aucun moment nous n’avons prétendu “faire” de la psychanalyse avec les enfants mais la psychanalyse a orienté nos observations, notre façon de nous présenter aux enfants et de présenter nos activités, notre écoute et nos interventions avec les familles. Se laisser guider par la psychanalyse revient pour nous à créer un espace où le désir circule, un lieu de vie, un lieu où le particulier que chaque enfant et que chaque famille met en jeu trouve à se loger et faire un circuit.

« Patinete » n’a pas la vocation d’être un centre d’intégration. Cependant, l’on pourrait dire que c’en est un, pas seulement par le travail qui s’y fait par rapport à la socialisation et à l’apprentissage des enfants ayant certaines difficultés, mais à partir du travail réalisé avec tous les enfants quant au respect de la petite particularité de l’autre. Dès le départ nous avons dit oui à chaque enfant et à chaque famille qui frappait à notre porte ; dès le départ nous nous sommes trouvés avec des enfants ayant certaines difficultés éducatives. Nous avons considéré que chacun apportait sa difficulté mais qu’il était de notre responsabilité de prendre le problème en charge, qu’il nous concernait, qu’il nous impliquait. C’est ainsi que nous avons pensé, conçu, pour chacun une façon de faire, nous avons valorisé les stratégies de travail, les réactions de l’enfant, en cherchant toujours une logique à son travail. Pour cela, les réunions de coordination avec l’équipe se sont avérées très importantes, nous y avons travaillé toutes ces questions, elles se sont très vite révélées être un lieu d’apprentissage dans lequel le travail quotidien avec les enfants donnait corps aux enseignements théoriques.

« Patinete », une institution qui s’inscrit dans le social comme instance éducative

Que considérons nous comme « éducatif » pour de si jeunes enfants et plus particulièrement pour des enfants autistes ? Qu’appelons-nous « institution » ?
Jacques Lacan, dans son « Allocution sur les psychoses de l’enfant » (1967) nous dit : « Toute formation humaine [toute institution] a pour essence, et non pour accident, de réfréner la jouissance. » C’est donc l’essence de notre institution qui prend l’éducatif comme moyen pour exercer sa fonction. Pour de si jeunes enfants, l’éducatif s’appuie sur des axes comme la socialisation et l’apprentissage, la rencontre avec le langage, avec les autres, avec son propre corps. Rencontre qui est toujours singulière, au un par un.

Il arrive parfois que l’on reçoive des enfants chez lesquels on entrevoit une non-rencontre, ou des enfants qui semblent la rejeter, étrangers à la présence de l’Autre, silencieux, pétrifiés, ou agités, ou perplexes devant la scène du monde qui défile sous leurs yeux, inaccessible. Comment nous mettre en jeu pour eux, pour qu’ils nous permettent – dans un premier temps – de participer à ce monde fermé, à ces activités répétitives dans lesquelles ils semblent s’isoler, de cette carapace de silence qui les emmure ? Comment faire pour que surgisse un intérêt pour le monde que nous habitons, pour les activités et les jeux auxquels les autres participent ?

L’essence de l’institution est de réguler la jouissance, justement ce qui déborde ces enfants si souvent nommés « déficitaires ». C’est pourquoi notre modalité de travail doit nécessairement nous inclure, nous les adultes qui travaillons dans ce lieu, pour représenter cette régulation devant les enfants. Au travers de petites interventions, nous démontrons la consistance suffisante pour qu’ils puissent avoir confiance dans le fait que nous pouvons nous en occuper, et l’incomplétude nécessaire pour qu’ils trouvent un recoin dans lequel se loger.

Parce que chaque enfant est différent, il faut toujours un temps d’observation. Si l’enfant est assigné au départ à une classe de référence et s’il est invité à participer aux activités, notre objectif prioritaire n’est ni qu’il participe aux activités, ni qu’il reste nécessairement en classe. C’est plutôt, à partir de la supposition de la précarité de sa place dans le monde, un moyen de lui indiquer à lui et aux autres, qu’il a un lieu, que l’Autre lui octroie un lieu, que cet enfant compte pour lui. Ce temps est important car il nous permet d’identifier les éléments de son intérêt, c’est à partir et à travers eux que nous ferons une tentative non intrusive de produire la rencontre.

Il y a peu, nous parlions avec des parents de l’évolution de leur enfant, lequel était sorti de son silence et de son isolement de départ et avait commencé à émettre quelques phrases et quelques sons, à supporter la présence des autres et son intégration dans des activités qui lui appartenaient. Je déclarais alors : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout a commencé par une conversation. » Dans une conversation, l’un parle, l’autre écoute, répond et le premier reprend la parole. Je leur expliquais comment, à travers l’activité répétitive de l’enfant, qui donnait des coups avec un objet, activité qui alarmait ses parents, je m’étais introduite en donnant de petits coups avec la main derrière lui. A la fin, l’enfant s’était retourné et me regardant pour la première fois, il recommença à donner des coups, attendant ma réponse et souriant, sourire que j’interprétais comme le signe que la rencontre avait bien eu lieu. « Ah, dit le père, alors il faut imiter ce qu’il fait ? » « Non, il s’agit de lui répondre ». Dans cette réponse à l’enfant, nous faisons semblant d’un accusé de réception de son acte comme d’un dire. Loin de le laisser dans le vide, nous nous situons comme adresse de ce dire, et lui assignons l’intentionnalité qui définit le sujet. Grâce à notre réponse, l’enfant apprend que son action a des effets sur le monde, monde incarné dans ce cas par l’adulte qui l’accompagne.

Lorsque cela nous paraît nécessaire, nous assignons un éducateur supplémentaire à la classe pour être attentifs aux moments propices où la rencontre peut se produire, pour mettre des mots sur ses actes devant les autres et pour l’accompagner dans les autres espaces de l’institution. Nous avons observé que ces enfants si fragiles privilégient la relation avec un éducateur déterminé ; nous connaissons aussi les risques que comporte une relation fixée sur une personne, risque que l’enfant reste situé dans sa position d’objet de la jouissance de l’Autre. C’est au travers de cette relation avec un adulte choisi par l’enfant que nous favorisons le passage aux autres : autres éducateurs et autres enfants. Il s’agit aussi de mettre des limites à cet éducateur : dire par exemple qu’à un moment donné il doit être ailleurs, s’occuper d’autre chose. Nous nous appuyons sur le fait que pendant la période initiale l’enfant a rencontré d’autres éducateurs, de sa classe et d’autres classe, qui se sont également manifesté pour lui montrer que dans ce lieu et pour eux, il comptait.

Nous avons constaté qu’une activité fréquente dans un premier temps est la déambulation ; même si elle ne semble pas avoir de sens, elle remplit une fonction importante dans la construction d’une topologie, permettant à l’enfant de s’orienter dans l’espace-temps de l’institution, de connaître ses rythmes. Il est très fréquent qu’un enfant – étranger au temps de l’horloge – participe à une activité concrète dans un espace déterminé dans lequel il sait qu’il va y avoir cette activité déterminée.

Un premier temps de travail, incontournable et préalable à toute proposition « d’apprentissage »

Il arrive que les éducateurs, à un moment déterminé, fassent obstacle au travail de l’enfant. La bonne volonté ne suffit pas, il y faut la rigueur de rendre compte devant les autres des interventions particulières et de leurs effets. Parfois, ce n’est pas si facile de voir l’évidence. Il arrive que l’éducateur soit gêné par un comportement déterminé de l’enfant. C’est pourquoi les réunions d’équipe sont nécessaires pour sortir de l’impasse. Là où l’enfant se fait gênant, c’est peut-être là qu’il est au travail. Par exemple, un enfant va s’emparer avant les autres d’un train. Parfois, il va jouer tranquillement avec, mais souvent, très agité, il va le jeter impulsivement à terre à plusieurs reprises, sans que les interventions des éducateurs n’arrivent à le dégager de ces moments d’agitation. Au cours de la réunion, la gêne des éducateurs est mise sur le tapis, celle-ci masque leur sentiment d’impuissance exprimée dans l’absurde par : « il peut casser le train ». Au cours de la réunion, on met en exergue l’importance de l’objet train. D’abord, nous proposons de le mettre hors de sa portée, non pas pour qu’il ne le casse pas mais pour favoriser le passage à la demande, l’adresse à l’Autre, et pour garder rangé à sa place cet élément qui parfois inquiète. Lorsque l’enfant s’adresse à l’éducatrice pour le demander, on le lui donne ; de plus, on nomme le fait que l’on va sortir le train, ce qui fait que d’autres enfants s’approchent aussi – alors qu’avant il jouait seul. Pour rendre tolérable la présence des autres, on le désigne « chargé du train », c’est lui qui le met en marche et l’arrête. Ceci nous conduit à aborder la question des « tours », les autres enfants pouvant aussi, à leur tour, devenir « chargés du train ». En nous appuyant sur des chansons qui plaisent beaucoup à cet enfant, nous obtenons de lui son consentement à jouer au train, même lorsque ce n’est pas lui le machiniste : il accepte qu’un autre enfant prenne son tour en tant que chargé du train et accepte également de participer au jeu, parmi les autres.

Ce premier temps permet un travail sur les normes qui existent dans une institution, un travail sur les limites. L’une des caractéristiques de ces enfants est l’angoisse à laquelle ils sont confrontés dans un monde psychique chaotique et sans limites. C’est pourquoi il est si important de prendre en compte et de respecter ce qui leur sert à mettre de l’ordre dans leur monde. La limite fondamentale à leur proposer, c’est la limite de l’Autre incarné par l’institution et par chacun des éducateurs ; il faut donc nous présenter de façon régulée, leur proposer des normes qui nous incluent nous-même. C’est une période au cours de laquelle ils se familiarisent avec les normes de l’institution énoncées pour d’autres enfants ou d’éducateur à éducateur. Ce sera ensuite, dans un second temps, qu’ils pourront consentir également aux normes de l’Autre. Il est important de signaler qu’à tout moment, moment de vie et d’apprentissage, nous recherchons non sa soumission mais son consentement.

Chez des enfants aussi sensibles à la parole – si sensibles qu’ils s’en défendent lorsqu’elle leur arrive directement, en se bouchant les oreilles, ou avec des comportements visant à ignorer ou neutraliser l’autre –, nous avons découvert que nous adresser à eux avec des formules de politesse excessives avait des effets d’apaisement et d’écoute. Par exemple, un enfant cherche à entrer à plusieurs reprises dans un espace où il y a du matériel qui comporte des risques. L’éducatrice l’accompagne sans réussir à le détacher de cet endroit. Une autre éducatrice qui voit la situation, s’approche et dit à la première : « mais qu’est-ce que tu fais là, tu sais bien que si tu entres les enfants ont aussi envie d’entrer ». L’enfant la regarde et sort tranquillement pour jouer ailleurs. C’est un acte qui énonce une norme – on ne peut pas entrer là, à ce moment-là – et qui reconnaît en même temps l’enfant dans son désir. Bien après, ce même enfant qui est en classe et réalise des activités avec d’autres enfants, demande à sortir et derrière lui, trois autres enfants font de même. L’éducatrice leur dit : « Excuses-moi, mais si tu as envie de sortir, d’autres enfants aussi ont envie de sortir, alors qu’ils ont le droit de continuer leur travail ici. » L’enfant accepte de rester en classe et passe à une autre activité.

Il est important de prendre en compte le mode particulier selon lequel chaque enfant développe ses apprentissages. Par exemple, un enfant, à son arrivée, a eu comme objet de prédilection une calculatrice. Nous nous sommes vite rendu compte que cet enfant, d’à peine trois ans, tapait un numéro suivi des touches « + » et « 1 », appuyant ensuite de façon répétitive sur la touche « = », captivé par la série infinie des nombres. Plusieurs manœuvres se sont alors mis en route autour de la calculatrice, plus particulièrement une : une éducatrice prononçait les nombres qui apparaissaient au fur et à mesure mais au bout d’un moment, elle dit à l’enfant qu’elle ne peut pas suivre le rythme. L’enfant adapte alors son rythme à celui de l’éducatrice. Avec le temps, cet enfant s’est occupé de constructions avec des chiffres, associant les nombres et les lettres. Il s’intéresse à des planches qui associent des images et des mots. Il aide la directrice à écrire des factures sur l’ordinateur, il s’intéresse aux contes dans lesquels il identifie des écritures identiques. A cinq ans, il va bientôt entrer à l’école, et compte tenu de son intérêt, nous décidons de l’introduire à la lecture. Sur une brochure, il localise le titre et le retrouve sur différentes pages. Il identifie également des lettres. L’éducatrice lui dit comment elles se prononcent, prises ensemble. Et là, c’est l’enfant qui montre du doigt ce que l’éducatrice doit lire, lorsqu’il va trop vite, elle lui dit qu’elle ne peut pas lire aussi vite, ce qui fait rire l’enfant, qui s’adapte à nouveau au rythme de la lecture de l’éducatrice. Parfois, celle ci « se trompe » et c’est l’enfant qui la corrige.

Pour finir, j’aimerais mettre l’accent sur un terme qui, de nos jours, semble être tombé en désuétude, mais qui devrait nous servir de guide dans le travail avec les enfants, il s’agit du respect. Respect pour la souffrance des enfants et de leur famille, respect pour leur manière de faire face aux difficultés, – bien que parfois en les niant, dans un tout premier temps –, respect pour les modes particuliers que ces enfants ont de se défendre et de s’arranger avec ce qui les déborde et qu’ils vivent comme profondément intrusif, respect pour le tempo du sujet et de sa famille.

Traduction : Blanca Perez Flament

Le jardin d’enfants de « Patinete » :

Pour préparer la journée « Enfants singuliers, Institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique. Qu’en dit la psychanalyse ? », on peut aussi découvrir la présentation de la journée du 11 juin ou lire le texte de Lydie Lemercier « Au bord de l’Autre... la singularité d’une invention » ainsi que le commentaire de David Coto ou le commentaire de Jeanne Spiess ou le texte de Jean-Maleval et Michel Grollier L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion ou le texte de Serge Dziomba, Réflexions autour de la supervision et l’analyse des pratiques professionnelles en institutions.

Télécharger le texte de Gracia Viscasillas :

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