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Publié le mardi 31 janvier 2023

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Janvier 2023

Le bulletin Uforca numéro 53




L’ENSEIGNEMENT
PAR LES PRÉSENTATIONS CLINIQUES


Les institutions psychiatriques qui « accueillent les présentations de malade se réduisent à peau de chagrin1 ». Il y a vingt ans déjà, Guy Briole indiquait qu’on leur préférait les « entretiens “semi-structurés”2 ». Aujourd’hui, ce sont les cases à cocher dans un questionnaire, les échelles graduées et les items des formulaires qui s’imposent dans le champ clinique. Ces soi-disant outils de mesure ne font que nourrir une passion de l’évaluation, épidémie qui a gagné le monde social bien au-delà de la psychologie. À mesure que se répand cette folle religion du chiffre, s’efface la possibilité même d’une recherche de vérité autour de ce qui se dit ou ne se dit pas. Or, la présentation de malades, telle qu’elle se pratique dans les Antennes, Collèges et Sections cliniques, avec un psychanalyste, est un lieu d’exploration du discours. Parce qu’il se fait l’adresse de cette parole, l’analyste autorise, par son acte, la production d’un discours singulier. Par conséquent, cette présentation est « inactuelle, au sens de Nietzsche, c’est-à-dire intempestive. Il faut un effort pour l’acclimater à l’actualité3 ». Malgré, ou peut être à cause de cela, des praticiens persistent à venir s’y former, confiant à l’occasion que l’une ou l’autre de ces présentations a fait événement pour eux. Quelque chose s’enseigne dans ces lieux, modestement à l’écart des grands centres académiques.

Pourtant, si la présentation de malade se fait rare aujourd’hui, elle fut une pièce majeure de la clinique du regard, qui se met en place au début du XIXe siècle4. À l’hôpital de la Salpêtrière, Charcot expose le corps de l’hystérique devant ses assistants et élèves. C’est un maître qui illustre la maladie de l’aliéné, cherchant à prouver l’inscription de cette pathologie dans le champ du système nerveux. Dans les années 1970, le maître est contesté, bousculé, ses présentations sont critiquées, dénoncées5. Pourtant, Lacan a poursuivi des entretiens à l’hôpital de Sainte-Anne durant plusieurs dizaines d’années. Ayant hérité cette pratique des psychiatres qui l’avaient formé, il en subvertit l’exercice6. Assis auprès du patient, Lacan n’est pas un maître qui parle à ses élèves : « nous ne comptions plus. Avec l’assistance, nous devinions que nous n’étions qu’en marge de ce qui allait se dérouler7 », témoignaient Catherine Lazarus-Matet et François Leguil. S’il y a dialogue, c’est avec le patient, une « devisée à bâtons rompus8 », dans laquelle il se fait tout à la fois docile à la subjectivité de l’autre et méthodique, afin de cerner le réel en jeu : « La clinique psychanalytique, disait-il, consiste dans le discernement de choses qui importent et qui seront massives dès qu’on en aura pris conscience9. » Ainsi, il s’agit de cerner, peu à peu, ce qui « se trame pour le sujet10 », c’est-à-dire les effets de la prise d’un corps dans le langage et dans les trois dimensions – réel, symbolique et imaginaire –, avec les conséquences qui en découlent sur les types cliniques.

Pour enserrer la chose clinique, Lacan manoeuvre. On le lit dans sa façon de faire avec Mlle Boyer : il cherche à savoir si tel symptôme est bien présent dans ce qu’il commence à cerner comme paraphrénie11. Il pratique des circonvolutions autour de ce qu’on lui dit, n’hésitant pas à créer une dimension transférentielle, pour engager la patiente à exprimer quelque chose de son expérience subjective. Ainsi, à Mme Soledo qui annonce à l’analyste « je ne sais pas comment dire », il adresse un « Essayez… Qui le dira si ce n’est pas vous12 ? » Au-delà de la tactique du clinicien, qui cherche à vérifier une hypothèse diagnostique, ce que Lacan vise, c’est l’énonciation, c’est-à-dire le rapport d’un sujet à ses dits. Sur ce point, parfois l’espace d’un instant, il y a surprise. Un mot vide de signification s’appareille à l’analyste et le circuit de la parole se branche sur l’Autre.

Le langage n’est pas un simple moyen d’expression, c’est ce qui s’enseigne dans les présentations de malades. S’y révèle, en effet, la puissance matérielle du verbe, des mots dits ou tus par les plus proches, fragments de langue parasitant le parlêtre, qui viennent de loin13. Pour certains sujets, les dits pris dans une circularité sont parfois transparents, aseptisés, n’accrochant rien du vivant. Cependant, lorsqu’un analyste parvient à se faire l’adresse du discours qui tourne tout seul, une coupure a chance d’opérer, même brièvement, créant un effet d’opacité où se loge le sujet. Les effets de transmission se situent là. C’est l’effet vivifiant de ce que l’on pourrait appeler une « dépathologisation lacanienne14 ».

Agnès Vigué Camus

Notes :
1 Fay P., in Miller J.-A. & alii, « Zoom sur Lacan Redivivus. Conversation à la libraire Mollat. Paris – Bordeaux », La Cause du désir, n°111, juin 2022, p. 73, disponible sur Cairn.
2 Briole G., « L’effet de formation dans la présentation de malades », La Cause freudienne, n°52, novembre 2002, p. 63 : « Les psychiatres d’aujourd’hui leur préfèrent des entretiens “semi-structurés” – c’est ainsi qu’ils les appellent – au moyen desquels ils renseignent des questionnaires et complètent des items d’échelles qu’ils consignent sur des fiches anonymes. Le psychiatre moderne poursuit sa route, sans le sujet. »
3 Miller J.-A., in Miller J.-A. & alii, « Zoom sur Lacan Redivivus », op. cit., p. 69.
4 Cf. Foucault M., Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963.
5 Cf. Miller J.-A., in Miller J.-A. & alii, « Zoom sur Lacan Redivivus », op. cit., p. 74.
6 Cf. Lazarus-Matet C. & Leguil F., « Lacan à Sainte-Anne », in Miller J.-A. & alii (s/dir.), Qui sont vos psychanalystes  ?, Paris, Seuil, 2002, p. 519-525.
7 Ibid., p. 524.
8 Ibid.
9 Lacan J., « Ouverture de la section clinique », Ornicar  ?, no 9, avril 1977, p. 8.
10 Biagi-Chai F., « Manoeuvres et circonvolutions autour d’un dit. Lecture d’une présentation de malade de Lacan », dans ce numéro 53 d’Ironik !.
11 Cf. Lacan J., « Présentation de Mlle Boyer », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, Paris, Navarin, 2021, p. 109-125 ; Biagi-Chai F., « Manoeuvres et circonvolutions… », op. cit.
12 Lacan J., « Présentation de Mme Soledo », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, op. cit., p. 136.
13 Cf. Lacan J., « Joyce le Symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 565.
14 Miller J.-A., in Miller J.-A. & alii, « Zoom sur Lacan Redivivus », op. cit., p. 72.

Accéder directement à IRONIK ! n°53 et son contenu


SOMMAIRE :

TRAVAUX D’UFORCA

A LA UNE


Manœuvres et circonvolutions autour d’un dit
Lecture d’une présentation de malade de Lacan

Francesca Biagi-Chai, Antenne clinique d’Angers

Lire mot à mot une présentation de malade et isoler ainsi le « cristal de la langue ». Lire la suite


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