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Publié le mercredi 8 décembre 2021

L’Edito de la déléguée régionale de l’ACF-Normandie

Calligraphies

Décembre 2021

La parole du sujet et l’objectivité du comportement

Le comportement est-il objectif ?
Consultons le dictionnaire, Le Grand Robert (Ed. 1981), article « comportement » : « Manière d’être ou d’agir des animaux et des hommes, des manifestations objectives de leur conduite ». Celui-ci ajoute que le terme a été considéré dès la fin du XIXe comme « vieilli », et a été beaucoup moins utilisé, et ce, jusqu’au tiers du XXe. Mais après la deuxième guerre mondiale, la psychologie a mobilisé à nouveau ce terme qui est redevenu courant.

Wikipedia indique que le mot a été introduit en français par Henri Piéron, comme équivalent de behavior. Le sous-entendu est donc que les personnes peuvent mentir, ou tromper, ou avoir des apparences trompeuses. Donc, il faut savoir ne pas se tromper et donc, trouver des renseignements « objectifs ».

Dans WikiHow, un site que je visite pour la première fois, j’apprends à « lire entre les lignes » parce que les personnes « ne sont pas toutes des livres ouverts » (sic). L’exemple est « comme repérer dans un roman, un langage imagé ». Comme c’est bien décrit ! L’article se termine malgré tout sur le fait qu’il est très possible de se tromper sur l’interprétation des faits « objectifs » et sur les différences culturelles. Ouf !
Mais les références sont pour la plupart en anglais, et cela se dit (y compris en russe) : « Lisez les personnes comme un livre ». Sauf en français où cela se dit : « comment interpréter le comportement d’une personne ». C’est le titre de l’article. Oh, là là ! Quelle langue ce français ! Quels mots compliqués ! D’ailleurs, il est bien dit que la base « scientifique » de la psychologie est « le comportement » et seulement cela.

Je fais référence à plusieurs blogs consultés sur la toile récemment. Depuis Darwin, me dit-on, « le comportement est reconnu comme le vecteur des émotions dans la communication non verbale1 ». L’auteur détaille l’évolution et l’opposition de Fechner qui parle de mouvements vers « l’activité, l’action, et des conduites » qui soutiennent les analyses plus récentes à partir d’études faites sur « l’animal, sur l’enfant ou des observations psychiatriques ».
Quelle liste ! N’est-ce pas merveilleux ? Nous trouverons ensuite, bien sûr Janet, mais aussi Piéron, et enfin Binet, auteur d’un test pour mesurer l’intelligence. Ce dernier donnait d’ailleurs une définition tautologique de celle-ci sous la forme « ironique » diront certains : « L’intelligence, c’est ce que mesure mon test2. »

Il semble bien que les créateurs de ce test n’aient pas du tout prévu ce qui a été fait de leurs recherches. Nous voilà aux confins de la notion de norme, chère à Canguilhem. Relisons Le normal et le pathologique qui n’est plus que très rarement cité. C’est une mine de réflexions rationnelles. Pourquoi ne pas les exploiter en cartel ? Je prends les volontaires !

Donc, résumons-nous : le mot « comportement » est lié à un ensemble de concepts - mais pas seulement : il y a aussi des points de vue qui ne sont pas du tout évoqués, et même disparaissent. L’unicité de la norme est présentée sous la forme « objective » de la courbe de Gauss, courbe de la répartition statistique des caractéristiques mesurables des êtres vivants qui aplatit la réalité si variée, si riche de distinctions, d’exceptions. L’autre approche de la distinction signifiante permet d’opposer les mots « bal » et « bol » en français, et surtout de distinguer ce qu’ils désignent. Et celle-ci est première par rapport à la conséquence : des significations différentes - comme les linguistes du groupe dit de Prague3 nous l’ont appris.

Nous ne dirons rien de l’objection autistique à cette normalisation forcée, qui prend appui sur des chiffres eux-mêmes déjà discutables. Mais il nous faut noter que cette approche qui pourrait se référer à une lecture de quelque chose d’observé, ou de dit, dans l’interaction d’un entretien, qui peut aussi se lire, du moins pour les lacaniens, cette approche nie qu’il y ait, dans cet effort pour se poser la question épineuse de « l’autre » de la conversation, nie la cécité à l’égard de l’imaginaire. Comme un symptôme, par exemple.
Non, ce n’est pas cette voie que prend la réflexion qui s’appuie sur le mot « comportement ». C’est cette « objectivité » d’évidence, qui donne à l’examinateur un brevet d’immunité contre les contaminations comportementales imaginaires si fréquentes à observer dans la vie courante. Et très souvent, celle-ci dissimule mal le refus, le rejet de la possibilité de l’inconscient - celui de l’examinateur surtout. C’est ce que la citation de Pascal relevée par aussi bien Le Robert que Le Littré n’évite pas. (Voir Calligraphie de Novembre)

D’autres maîtres-mots circulent, en particulier pour les enfants, c’est pour souligner ce qui manque le plus ! Les reproches qui tuent, qui collent par terre ! Il n’a pas de « concentration » ? Le voilà perdu pour les « apprentissages ». Et le savoir, où est-il passé ? Ou encore la connaissance ? Ou encore la raison ?

Le tour de force me paraît tout de même le mot « concentration ». C’est un mot qu’on ne prononçait pas que j’étais jeune. Évidemment nous étions trop proches de ce qui s’est dit un peu plus tard au complet, et dont la première partie n’était que chuchotée : « les camps ». Puis c’est devenu le mot de l’expansion économique : la « concentration industrielle ». La construction de l’Europe doit beaucoup à cette notion. Et ensuite, cela a été la qualité indiscutable et nécessaire du bon ouvrier ou de la bonne employée. C’est bien d’être « concentré sur les résultats », c’est-à-dire ceux qui font une performance pour l’acteur, mais aussi une autre performance pour le dirigeant d’entreprise.

Nous sommes loin de la psychanalyse ?
Peut-être pas autant qu’il n’y paraît.

La parole du sujet est-elle importante ? Voilà notre question. Si le savoir est encore enseigné, si la grammaire qui permet de saisir la logique des raisonnements est toujours enseignée comme telle, comment faire pour persuader les « masses » de se laisser « gérer » ?

Enfin, que la psychanalyse prenne au sérieux la possibilité de l’inconscient, n’est-ce pas par la mise en place d’une méthode de lecture qui permet de déchiffrer au-delà de la compréhension de ce qui est dit, quelque chose des intentions du locuteur, quand il cherche à distraire ? Ou, à argumenter façon « chaudron » comme le souligne Freud, dans une célèbre histoire drôle, où la logique bancale de l’argumentaire met à découvert l’intention de tromper.

Reste que nous voilà sur les bords des théories du complot, qui font d’autant plus florès que nous ne nous servons plus du tout des catégories de la psychose : par exemple la « personnalité paranoïaque » qui nous était enseignée il n’y pas si longtemps. Ce qui nous permet d’échapper un peu à cette cécité, qui préfère suivre le doigt qui désigne la lune, plutôt que de regarder les astres qui font frissonner, en s’arrêtant sur un objet à portée de main, c’est justement de prendre au sérieux cette idée de la « possibilité de l’inconscient » et donc de ne pas trop chercher des réponses, mais bien plutôt, comment poser des questions.
Et d’abord, à nous-mêmes. A démêler les effets imaginaires des scansions symboliques. A l’exception de la rencontre avec ce qui n’a pas été prévu, ce qui est impossible, et qui, malgré tout, se répète. Là, sur ce bord qui se construit, nous avons à nous repérer, à repérer notre jouissance, la satisfaction qui s’y accroche. Le point de réel ?

Recevez chères et chers collègues, tous mes vœux et passez de bonnes fêtes. Je souhaite pour moi, de pouvoir passer la main de la Délégation bientôt, et de pouvoir continuer différemment avec vous, parmi vous, notre travail de lire les symptômes, et de déchiffrer notre inconscient.

Catherine Grosbois

Notes :
1 Anne-Marie Toniolo, « Le comportement : entre perception et action, un concept à réhabiliter », L’année psychologique 2009/1 (vol 109), p 155.
2 Jacqueline Nadel, « Dialogue avec Gabriel Bernot : « L’intelligence, c’est ce que mesure mon test », disait ironiquement Binet », Enfance 2011/2 (N° 2), p. 285 - 286
3 Journet Nicolas, « L’école de Prague ou la naissance de la linguistique structurale », Une histoire des sciences humaines, Jean-François Dortier (dir.), Éditions Sciences Humaines, « Petite bibliothèque », 2012, p. 177-180.

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