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Publié le mercredi 24 mars 2021

En attendant le colloque de l’ACF au Havre en mai 2021

Préliminaires 5

Actualités de la causalité psychique - Que devient la folie dans nos pratiques ?

Quentin Metsys, Allégorie de la folie

Ce qui devait être un après-midi de travail sera finalement un colloque qui durera toute la journée.

Accueil à partir de 9h
Fin des travaux à 17h

Institut des Formations Paramédicales
28 rue Foubert – Le Havre

Nous aurons le plaisir d’avoir parmi nous Fabien Grasser, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP, psychiatre des hôpitaux, ancien chef de service de l’Unité clinique Jacques Lacan à Yerres, ancien directeur du CPCT (Centre Psychanalytique de Consultations et de traitements) de Paris.

Réservez dès à présent la date du samedi 29 mai 2021.

Ce numéro de Préliminaires comprend :
-  L’argument proposé par Catherine Grosbois, déléguée régionale de l’ACF en Normandie
-  Un commentaire du texte d’Eric Laurent « Le traitement psychanalytique de la psychose et l’égalité des consistances » par Jean-Louis Woerlé


Pour préparer le colloque Actualité de la Causalité psychique - Que devient la folie dans nos pratiques ?, on peut lire :
- La présentation du colloque Actualité de la Causalité psychique - Que devient la folie dans nos pratiques ?
- Préliminaires 1
- Préliminaires 2
- Préliminaires 3
- Préliminaires 4
- Préliminaires 5
- Préliminaires 6


ARGUMENT


La science est devenue une composante incontournable de la matière de nos réflexions. Même quand les conditions nécessaires de production du savoir scientifique s’estompent, nous rencontrons, nous nous servons de ces données.
Et là, dès que la pratique s’appuie sur la Science, y compris celle des laboratoires et des experts, surgit un malentendu.
Dans notre quotidien, dans ce qui fait la pratique de nos métiers, soignants, enseignants, politiques et policiers ou juristes, voire simplement le questionnement que nous pouvons avoir au sujet de notre santé, ou des guides de nos actions, nous constatons des vides, des manques, des cas singuliers, des apories, des impasses.
Ou alors, surgit une question sans réponse : qui croire ? Dès que nous ne sommes plus « spécialistes », ou experts, la question devient insoluble. Son énoncé même reste problématique. Car justement l’un des fondements de la science est d’exclure le singulier de la croyance.

Le texte des Ecrits de Jacques Lacan, « Propos sur la Causalité Psychique », qui a été prononcé juste après la deuxième guerre mondiale, met en tension ces questions.
En soulignant la singularité de chaque un, chacun qui se questionne, par exemple dans l’expérience de parole avec un analyste, qui fait surgir la possibilité de s’attribuer un inconscient, et donc ouvre aux questions de l’action de l’interprétation, nous pourrons suivre l’actualité de ce texte.
Mais aussi, l’actualité de l’enseignement de l’auteur, Jacques Lacan.

La place essentielle faite dans ce texte à un mot qui est devenu à la fois rare, non scientifique, et à la limite de pouvoir être dit, car non conforme à l’expression dite correcte, la folie, nous servira pour nous orienter.
Nous examinerons aussi les lieux qui ont accueilli cette folie, ou qui la rencontrent dans l’exercice quotidien, singulier. Nous essaierons de dégager les pratiques qui sont issues de ces lieux, les créations qui ont été avancées.
Nous questionnerons les objets qui ont surgi : aussi bien ceux qui servent les « diagnostiques » que ceux qui axent les « traitements » de ce qui est désormais « trouble ».

Au plaisir de vous rencontrer au Havre, le bien nommé pour nous accueillir, en présence si possible.

A bientôt,
Catherine Grosbois, déléguée régionale de l’ACF en Normandie


Commentaire du texte d'Eric Laurent


« Le traitement psychanalytique de la psychose et l'égalité des consistances<sup class="typo_exposants"><small>1</small></sup> »


Dans le Préliminaires, du mois dernier, le n° 4, nous avons abordé ce qu’on pouvait entendre sous le terme de mental.
« Les parlêtres sont condamnés à la débilité mentale par le mental même2 » avait indiqué Jacques-Alain Miller, en précisant que « le symbolique imprime dans le corps imaginaire des représentations sémantiques que le corps parlant tisse et délie. C’est en quoi sa débilité voue le corps parlant comme tel au délire. On se demande comment quelqu’un qui a été analysé pourrait encore s’imaginer être normal ».
Analyser revient donc à « diriger un délire de manière à ce que sa débilité cède à la duperie du réel3. »

Pourquoi la commission scientifique a-t-elle choisi d’étudier « Le traitement psychanalytique de la psychose et l’égalité des consistances » d’Eric Laurent ?
D’une part ce texte est dans la continuité de l’intervention d’Eric Laurent lors du Congrès de l’AMP en avril 2018 à Barcelone, congrès qui avait pour thème « Les psychoses ordinaires et les autres sous transfert4 ». Cette intervention d’Eric Laurent intitulée « Disruption de la jouissance dans les folies sous transfert » est ici largement reprise.
D’autre part ce texte est en quelque sorte un point d’orgue de notre orientation lacanienne dans la mesure où il prend en compte le tout dernier enseignement de Lacan dans son séminaire XXIII « Le sinthome » et le suivant « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre », ainsi que du séminaire d’orientation lacanienne de Jacques-Alain Miller sur « Le tout dernier Lacan » et son texte d’orientation du Congrès de l’AMP de 2016 à Rio de Janeiro « L’inconscient et le corps parlant ».

Nous avons plusieurs fois évoqué la question de l’interprétation lors des Préliminaires, mais jamais la question du transfert. Que devient-il dans le tout dernier enseignement de Lacan ?
Et bien le transfert est le grand absent des séminaires lacaniens de 1975-1976 et 1976-1977. Cela ne veut pas dire que Lacan n’en parle jamais, mais très peu. Et c’était le but d’Eric Laurent d’interroger, à Barcelone, l’usage que nous faisons du transfert.
D’autre part il avait introduit dans le titre de son intervention le terme de disruption, « terme choisi par J.-A. Miller comme un synonyme de l’effraction que constitue la jouissance dans l’homéostase du corps, fondement de la répétition du Un. […] Disruption est pris là dans une double acceptation. C’est à la fois l’effraction première et aussi ses répliques5 ».
Comment opérer avec un partenaire de jouissance sans la garantie du Nom-du-Père ?
Eric Laurent fait référence pour lancer la question aux travaux de deux collègues espagnols :
-  Tout d’abord Vicente Palomera fait remarquer que « dans le travail du délire c’est le sujet comme tel qui prend à sa charge, non pas le retour du refoulé (comme nous le disons pour la névrose) mais les retours dans le réel qui l’accablent. Alors qu’il n’y a pas d’autoanalyse du névrosé, le délire est une sorte d’auto-élaboration. […] L’acte analytique peut-il avoir une incidence sur cet auto-traitement du réel comme dans le travail de transfert6 ? »
-  Quant à Miquel Bassols, il affirme que « Les psychoses ordinaires ne sont cliniquement ordonnées que si les phénomènes sont précipités, ordonnés, selon la logique du transfert7. »
Il en résulte pour Eric Laurent que « le passage du régime du patriarcat au partenaire de jouissance ouvre en somme une double voie. D’une part, la manœuvre du transfert dans les psychoses nous dit quelque chose dans l’abord du transfert dans le dernier enseignement. D’autre part, le dernier enseignement nous permet d’aller plus loin et de nous défaire de certains embarras qui nous retenaient dans notre acte. »

Suggestion et fiction

Curieusement Lacan va se rabattre sur l’ancien effet de suggestion : « Est-ce que la psychanalyse opère – puisque de temps en temps elle opère – par un effet de suggestion ? […] Ce n’est pas pour rien que j’ai manifesté jadis une certaine préférence pour un livre de Bentham qui parle de l’utilité des fictions8. » Cela laisse envisager un lien à faire entre suggestion et fictions, mais ne dit rien du transfert car cela semble plutôt interroger l’interprétation.
En effet, il ne faut point oublier que ce que Lacan met en avant depuis le Séminaire « Ou pire », c’est Yad’lun qui va nous amener à ce que dans « Le sinthome » il soit question d’un « radical à chacun son sinthome […] qui invite à saisir chacun comme un Un absolu, c’est-à-dire séparé9. Les Uns sont séparés, non articulés, ce qui va à l’encontre de la conception classique du transfert qui implique l’Autre et son articulation de sujet supposé savoir, donc un savoir supposé vouloir dire quelque chose. Ce qui entraîne deux conséquences capitales dans la clinique : il n’est plus possible de se soutenir du Nom-du-Père et du vouloir dire. La pratique de la psychanalyse est ainsi prise à rebrousse-poil.

Le sujet supposé savoir

Lacan évoque cependant le transfert, mais effectivement en le prenant à rebrousse-poil, en parlant d’abord du transfert négatif. Pour comprendre le passage, il faut préciser que Lacan part de la négation, du il n’y a pas, en évoquant Freud et sa Verneinung, la dénégation, pour rappeler que la négation suppose une Bejahung, un dire que Oui, que « c’est à partir de quelque chose qui s’énonce comme positif qu’on écrit la négation10 ».
Voici la phrase où Lacan évoque le transfert : « Le principe du dire vrai, c’est la négation. Et ma pratique, puisque pratique il y a, c’est ainsi que j’ai à me glisser – c’est ainsi que c’est foutu – entre le transfert qu’on appelle, je ne sais pourquoi, négatif, et … On ne sait toujours pas ce que c’est le transfert positif. » Ce qu’Eric Laurent commente ainsi : « On nomme quelque chose négativement, pour signaler qu’il n’y a pas, car on sent qu’il y a une existence dont on n’arrive pas à saisir la consistance logique11. » Notons au passage l’importance du « nomme » et du « on sent », repris du séminaire sur « Le sinthome12 », « pour désigner un réel qui échappe à pouvoir s’écrire comme existence. On peut simplement le nommer13 ».
Que devient alors le sujet supposé savoir ? « Qui est supposé savoir ? C’est l’analyste. C’est une attribution. […] Savoir est donc son attribut. Il n’y a qu’un ennui, c’est qu’il est impossible de donner l’attribut de savoir à quiconque. Celui qui sait dans l’analyse, c’est l’analysant. Ce qu’il déroule, c’est ce qu’il sait, à ceci près que c’est un autre – mais y a-t-il un autre – qui suit ce qu’il a à dire, à savoir ce qu’il sait14. » Voilà un élément absolument essentiel : l’analyste occupe le lieu d’une attribution et d’un supposé, mais ce n’est pas un jugement d’existence. En effet, il faut se rappeler que dans son texte sur « La dénégation », Freud opposait le jugement d’attribution et le jugement d’existence. Exit le sujet supposé savoir qu’est l’analyste.
L’analyste n’est plus le je suis du sujet supposé savoir mais il suit, ce qui évoque le secrétaire de l’aliéné tel que Lacan en parle dans son séminaire sur Les psychoses.

L'Autre rompu et l'Un

Poursuivons avec Lacan : « Cette notion d’Autre, je l’ai marquée dans un certain graphe d’une barre qui le rompt. » Il s’agit du graphe du désir où Lacan donne une place primordiale à l’Autre barré. Mais ici il s’agit d’un Autre rompu. Barré est du côté de la négation, du il n’y a pas. Nous nous retrouvons à nouveau dans ce qui peut être nié ou affirmé. « Par ce déplacement, il (Lacan) accentue le fait qu’il s’agit d’une question d’existence », nous dit Eric Laurent. D’ailleurs Lacan précise : « Mais rompre, est-ce nier ? L’analyse à proprement parler énonce que l’Autre ne soit rien que cette duplicité. Il y a de l’Un, mais il n’y a rien d’Autre. »
L’Autre n’est rien que cette duplicité : nous avons donc affaire à un Autre double en quelque sorte. Or Lacan est passé de l’Autre du signifiant, du côté de l’être, à l’Autre comme corps, du parlêtre qui a un corps. Eric Laurent nous précise alors que la rupture (du rompu) « passe maintenant entre l’Etre et ce qu’il y a15. »
C’est radical : de l’Un tout seul. Cela a aussi comme conséquence que le Un de jouissance parle tout seul et impose de « séparer l’Un et le dialogue ». D’ailleurs Lacan poursuit ainsi : « L’Un, je l’ai dit, dialogue tout seul, puisqu’il reçoit son propre message sous une forme inversée. C’est lui qui sait, et non pas le supposé savoir16. » Cela évoque l’auto-élaboration dont parlait Vicente Palomera. On peut avoir l’impression d’être revenu à la formule générale de la communication du tout début de l’enseignement de Lacan mais ici « l’analysant sait et il suffit qu’il s’adresse à l’Autre qui n’existe pas pour que se produise l’effet de retour17. » Ce qui permet à Eric Laurent de dire que « notre formulation fondamentale de l’interprétation « Je ne te le fais pas dire … » est ainsi généralisée ». Il faut qu’il y ait un lieu et un appui pour que ce retour soit possible. Il sait lorsqu’il a reçu ce savoir sous sa forme inversée, un savoir absolument singulier. Il n’y a pas de relation de communauté entre l’analysant et l’analyste car il n’y a pas d’universel, de pour tous : « Il se conforte de l’Un. Il y a de l’Un. Je l’ai répété tout à l’heure pour dire qu’il y a de l’Un, et rien d’autre18. »

L'Un et l'égalité des consistances

Lacan avait formulé que « la consistance de l’imaginaire est absolument équivalente à celle du symbolique, comme à celle du réel19. » Cependant, en ce qui concerne cette égalité clinique, le plus simple et le plus clair est de citer Jacques-Alain Miller : « L’ordre symbolique est maintenant reconnu comme un système de semblants qui ne commande pas au réel, mais lui est subordonné. Un système répondant au rapport sexuel qu’il n’y a pas. Il s’ensuit, si je puis dire, une déclaration d’égalité clinique fondamentale entre les parlêtres20. »
Suit un paragraphe sur la débilité, le délire et la duperie, termes qui ont été développés dans le Préliminaires n° 4.
Cette déclaration d’égalité clinique a plusieurs sens.
D’abord les trois mécanismes symboliques des différentes structures cliniques que sont le refoulement, la forclusion et le désaveu sont surmontés « par le primat des trois trous différenciés qui définissent chacune des trois consistances21 » de l’imaginaire, du symbolique et du réel.
En un second sens, « la déclaration d’égalité clinique repose sur le fondement commun de la jouissance pour laquelle travaille l’inconscient22. »
En un autre sens, « Dans l’économie de la jouissance, un signifiant-maître en vaut un autre23. »
En effet, sur le versant de la débilité, tout le monde est sur le même plan dans la mesure où la débilité du sujet est de croire qu’il est possible de se soustraire à l’expérience de jouissance, non négativable, de la démentir ou de la nier.
De cette déclaration d’égalité clinique découle une conséquence pratique concernant les indications d’analyse : à l’époque de Freud, on avait affaire au refoulement, mais à l’époque du parlêtre, on analyse n’importe qui et les récits de passe n’évoquent plus le refoulement et à sa place, « l’analyse du parlêtre installe la vérité menteuse, qui découle de ce que Freud a reconnu comme le refoulement originaire. Et cela veut dire que la vérité est intrinsèquement de la même essence que le mensonge. […] Ce qui ne ment pas, c’est la jouissance, la ou les jouissances du corps parlant24 ». Parler de vérité évoque le but d’une psychanalyse freudienne et le début de l’enseignement de Lacan. Mais évoquer la vérité menteuse, sur laquelle a beaucoup insisté J.-A. Miller pendant les dernières années de son séminaire, « c’est refuser le primat de l’effet de vérité sur le réel, c’est se dépendre de la visée d’une traversée finale du voile des illusions. C’est guider l’expérience vers le réel, au point où le sujet rencontre l’expérience de jouissance qui ne peut se penser mais seulement se rencontrer25 ».

Primarité du transfert négatif et statut du transfert positif

Mais revenons à la question du transfert. Lacan venait de dire qu’il y a de l’Un et il poursuivait ainsi : « Et ça veut dire qu’il y a quand même du sentiment, ce sentiment que j’ai appelé, selon les unarités, le support de ce qu’il faut bien que je reconnaisse, la haine, en tant que cette haine est parente de l’amour26. »
Lacan, jusqu’à présent, avait parlé de la haine comme une des trois passions de l’être - l’amour, la haine et l’ignorance – qui visait l’être de l’Autre. A présent, elle ne vise plus l’être, mais le réel dans l’Autre, c’est la haine de la jouissance de l’Autre. « La haine est du côté du réel, et même si l’Autre n’existe pas, la haine est première par rapport à l’amour27. » Elle évoque ce mécanisme décrit par Freud, celui de l’Austossung, une expulsion primordiale, reprise par Lacan, où ce rejet hors du symbolique met en place ce qui est de l’ordre du réel, expulsion primordiale qui situe le sujet face à l’Autre.
Les unarités est un néologisme lacanien pour exprimer qu’il existe une différence inamovible de chaque Un, en particulier une séparation d’avec la jouissance des autres Uns28. Cela a donc comme conséquence qu’il y a quand même du sentiment, sentiment d’hainamoration, qui inclut la haine et l’amour, mais ne doit pas nous condamner « à l’immobilisme de peur de déclencher la haine29 ».
Lorsque Lacan dit lors de son Séminaire que « la haine est parente de l’amour », il poursuit ainsi : « L’amour que j’ai écrit dans mon titre de cette année – l’Insu-que-sait de l’une-bévue, c’est l’amour30. »

L'une-bévue et le faire vrai

« L’insu » serait sans doute une des traductions possibles de l’Unbewusst, traduit malheureusement par inconscient, ce qui a laissé place à beaucoup d’incompréhension de la notion freudienne d’Unbewuβt qui comprend d’une part le verbe wissen, c’est-à-dire savoir, et le préfixe be qui accentue le côté d’être muni de savoir que l’on trouve dans Bewuβtheit qui signifie à la fois « connaissance » et « conscience ». De ce fait unbewuβt s’est traduit par inconscient alors que mir unbewuβt, c’est-à-dire « à moi inconscient » si on suit cette voie, se traduit en fait par « à mon insu »
Qu’en dit Lacan ? « Il n’y a rien de plus difficile à saisir que ce trait de l’une-bévue, dont je traduis l’Unbewusst, qui veut dire en allemand inconscient. Mais traduit par l’une-bévue, ça veut dire tout autre chose – un achoppement, un trébuchement, un glissement de mot à mot. » Lacan avait toujours défini l’inconscient par l’achoppement, le lapsus, la bévue, en fin de compte l’une-bévue. Mais pour J.-A. Miller, dans ce Séminaire, livre XXIV, de Lacan, cela veut dire autre chose. Je le cite : « Là, l’achoppement ou le glissement de mot à mot comme phénomène se situe dans un temps antérieur à celui où peut apparaître l’inconscient. L’inconscient n’apparaît dans l’une-bévue que dans la mesure où on ajoute une finalité signifiante, que dans la mesure où on ajoute une signification31. »
Cet ajout de signification va changer la version qu’on avait jusqu’alors du transfert positif. Pour Eric Laurent, « c’est une transformation par ajout de sentiment, un ajout de signification, qui permet un nouvel usage du partenaire de jouissance pour surmonter les achoppements de l’une-bévue du sujet confronté à lalangue et son instabilité, ses glissements permanents32 ».
Comment Lacan conçoit-il alors la psychanalyse ? « Je me casse la tête, et je pense qu’en fin de compte, la psychanalyse, c’est ce qui fait vrai. Mais comment faut-il l’entendre ? C’est un coup de sens. C’est un sens-blant33. » En rajoutant du sens, l’inconscient vient après, mais cela reste un semblant. Et Lacan poursuit ainsi : « Que l’analysant produise l’analyste, c’est ce qui ne fait aucun doute. C’est pour cette raison que je m’interroge sur ce qu’il en est du statut de l’analyste, à qui je laisse sa place de faire vrai, de semblant34. »
Nous avons vu l’analyste qui suit, en tant que secrétaire, nous avons vu l’analyste comme lieu, appui, pour qu’il y ait un retour du message, mais à présent il s’agit de bien plus que cela, il faut l’analyste comme appui pour faire vrai l’achoppement. « Le semblant, soumis au « faire vrai », permet au sujet de rétablir une homéostase, malgré les achoppements, malgré l’instabilité foncière de lalangue, malgré l’homophonie primordiale35. » Ce faire vrai s’oppose au faire être du temps de l’Autre.

L'homéostase et le sommeil

Qu’en est-il de cette homéostase ? C’est un terme freudien en rapport avec le principe de plaisir. C’est un principe économique. Pour Freud, l’appareil psychique tente de maintenir au plus bas la quantité d’excitation qu’il contient et pour cela il faut d’abord éviter de l’accroître grâce un mécanisme de défense contre la disruption de la jouissance. Rappelons que c’est ainsi qu’était introduit le commentaire de ce Préliminaires, à savoir la disruption comme un synonyme de l’effraction que constitue la jouissance dans l’homéostase du corps. « Ce que la psychanalyse appelle plaisir, c’est pâtir, subir le moins possible36. »
Or, nous précise Lacan, que « c’est un fait que dès qu’il dort, l’homme une-bévue à tour de bras, et sans aucun inconvénient » et qu’à « la vérité, la maladie mentale qu’est l’inconscient ne se réveille pas. Ce que Freud a énoncé, ce que je veux dire, c’est cela – il n’y a en aucun cas réveil37. » L’homéostase est synonyme de sommeil. Faut pas réveiller !
Quelles en sont les conséquences pour la psychanalyse ? J.-A. Miller commente cela ainsi : « On voit alors en quoi consisterait la psychanalyse. Elle consisterait à ramener au principe de plaisir par l’effet de suggestion. […] La suggestion, c’est l’effet naturel du signifiant. C’est comme cela que je comprends pourquoi Lacan peut dire qu’il y a contamination du discours par le sommeil […]. Qu’est-ce que Lacan dessine comme l’usage de ce qu’on appelle, de ce qu’on appelait, l’interprétation ? Il est instructif de voir qu’il ramène alors le principe du plaisir, et qu’il lui reconnaît une place à l’étage du Un38. »
La suggestion est l’effet naturel du signifiant implique que le fondement premier de la suggestion consiste en l’impact du signifiant sur le corps que le sujet traite grâce à l’auto-élaboration d’une fiction non standard qui permet le traitement de la disruption de la jouissance vers une homéostase de la même façon que dans la psychose la stabilisation de la métaphore délirante se faisait grâce à l’élaboration d’une fiction non-oedipienne. On voit ainsi comment la psychose a permis à Lacan d’élaborer une forme généralisée de l’homéostase. Ce qui entraîne à conséquence, à savoir qu’il dira lors de ses conférences aux Etats-Unis qu’une « analyse n’a pas à être poussée trop loin. Quand l’analysant pense qu’il est heureux de vivre, c’est assez39. » Il y a satisfaction de l’Un, non articulée à l’Autre.

Jaculation et signifiant nouveau

Mais y aurait-il autre chose que le repos et le sommeil ? « Il n’est sûr qu’on est réveillé, nous dit Lacan, que si ce qui se présente et représente est sans aucune espèce de sens. […] La science et la religion vont très bien ensemble. C’est un dieu-lire. Mais ça ne présente aucun réveil. Heureusement y a-t-il un trou40. »
Le réveil est lié au trou et permet une autre approche de l’interprétation qui ferait réveil, une interprétation qui porterait et « qui n’implique pas forcément une énonciation41 ». Ce que Lacan précise ainsi : « L’effet de sens exigible du discours analytique n’est pas imaginaire. Il n’est pas non plus symbolique. Il faut qu’il soit réel. Ce dont je m’occupe cette année, c’est de penser quel peut être le réel d’un effet de sens42. » Pour que ce ne soit ni imaginaire ni symbolique, il ne faut donc pas l’ajout d’un signifiant ni la production d’une chaîne signifiante. « Dès lors la question se pose de savoir si l’effet de sens dans le réel tient à l’emploi des mots ou bien à leur jaculation. […] On croyait que c’étaient les mots qui portent. Alors que si nous nous donnons la peine d’isoler la catégorie du signifiant, nous voyons bien que la jaculation garde un sens isolable43. »
Eric Laurent met cela en rapport avec un exercice Zen, tel que Lacan en parle dans son séminaire de 1965-1966 sur « L’objet de la psychanalyse », et où cet exercice a quelque rapport avec la réalisation subjective d’un vide. « Notons ici, nous dit-il, de façon cruciale le lien de la production du vide subjectif et de la jaculation44. » Voilà donc un effet de sens réel, qui réveille « au sens de produire le vide de signification45 ».
Cette jaculation du séminaire « RSI » devient, deux ans plus tard, le signifiant nouveau dans le séminaire de « L’insu que sait » : « Un signifiant nouveau qui n’aurait aucune espèce de sens, ce serait peut-être ça qui nous ouvrirait à ce que, de mes pas patauds, j’appelle le réel. Pourquoi est-ce qu’on ne tenterait pas de formuler un signifiant qui, contrairement à l’usage qu’on en fait actuellement, aurait un effet46. » Il s’agit donc d’un signifiant qui déclencherait un réveil. Ce qu’Eric Laurent commente ainsi : « Ce réveil est connecté à la production d’un effet de sens réel comme production d’un vide subjectif. Il consonne bien avec l’accent du dernier enseignement sur le trou et non sur la chaîne47. »
Il s’agit donc que se produise lors de l’expérience analytique soit une auto-élaboration de fiction du côté du sommeil où le sujet est heureux de vivre, soit l’élaboration d’un signifiant nouveau qui réveille, production d’un effet de sens réel au sens de produire le vide de signification. C’est ainsi qu’il faut, je pense, comprendre la nouvelle écriture de semblant. En effet, dans le séminaire « L’insu que sait » établi par J.-A. Miller, à propos du faire semblant, il écrit ainsi le propos de Lacan : « C’est un coup de sens. C’est un sens-blant48 », ce qu’Eric Laurent reprend mais en l’écrivant « sens-blanc49 ».

Série et topologie de bord

Qu’en est-il chez le sujet psychotique ? « Il est lui-même la puissance nominatrice. L’interprétation consiste donc à permettre au sujet d’exercer cette puissance. » Cependant il faut « veiller à ce que le sujet ne nomme pas sa jouissance de la mauvaise manière ». C’est ainsi que peuvent être mis en valeur les nominations les plus singulières, comme nous l’avons vu lors de la dernière séance de l’Antenne clinique du 12 mars dernier, à propos de cette patiente qui avait découvert un intérêt pour les grandes marques tombées en désuétude en mettant son talent au service des « belles endormies » qui souhaitaient rajeunir leurs gammes de produits. Ainsi pourra se construire toute une série de nominations qui permettent de construire un bord autour de la béance de l’Autre, Autre bouché par l’objet a non extrait.

La conclusion de l’intervention d’Eric Laurent à Barcelone mérite d’être retenue : « Lacan gagne toujours à être lu en bloc. Il nous faut un bloc orienté car sinon nous resterons occidentés par l’ultime virage de Lacan si propice à la pratique contemporaine de la psychanalyse. »

Jean-Louis Woerlé

Notes :
1 Laurent E., « Le traitement psychanalytique de la psychose et l’égalité des consistances », La conversation clinique, Paris, Le champ freudien, 2020, p. 43-54.
2 Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, Paris, Navarin, 2014, p. 113.
3Ibid., p. 114.
4 Laurent E., « Disruption de la jouissance dans les folies sous transfert », Hebdo-Blog, n° 133, ECF, 16 avril 2018.
5Ibid., p. 1.
6Ibid., p. 1-2.
7Ibid., p. 2.
8Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 17 mai 1977, Ornicar ?, n° 17/18, Paris, Lyse-Seuil, printemps 1979, p. 20.
9 Miller J.-A., Le séminaire d’orientation lacanienne, « Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, séance du 14 mars 2007, inédit.
10 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIV, op. cit., leçon du 10 mai 1977, p. 17.
11 Laurent E., « Le traitement psychanalytique de la psychose et l’égalité des consistances », op. cit., p. 45.
12 Lacan J. Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 50.
13 Laurent E., « Le traitement psychanalytique, op. cit., p. 45-46.
14 Lacan J., Le séminaire, Livre XXIV, op. cit., p. 18.
15 Laurent E., « Le traitement psychanalytique », op. cit., p. 46.
16 Lacan J., Le séminaire, Livre XXIV, op. cit., p. 18.
17 Laurent E., « Le traitement psychanalytique », op. cit., p. 46.
18 Lacan J., Le séminaire, Livre XXIV, op. cit., p. 18.
19 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, RSI, Ornicar ?, n° 4, Paris, Le graphe, rentrée 1975, p. 95.
20 Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant, La Cause du désir, n° 88, Paris, Navarin, octobre 2014, p. 113.
21 Laurent E., « Le traitement psychanalytique », op. cit., p. 47.
22 Ibid., p. 46-47.
23 Cf Préliminaires n°4.
24 Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », op. cit., p. 114.
25 Laurent E., op. cit., p. 49.
26 Lacan J., Le séminaire, Livre XXIV, op. cit. p. 18.
27 Laurent E., op. cit., p. 49-50.
28 Unarité est un néologisme déjà utilisé par Lacan dans son Séminaire, livre IX, L’identification, séance du 20 juin 1962, inédit : « par quoi l’unarité du trait, si je puis dire, mon trait unaire ».
29 Laurent E., op. cit., p. 50.
30 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, op. cit., p. 18.
31 Miller J-A., le Séminaire d’orientation lacanienne « Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’Université Paris VIII, séance du 14 mars 2007, inédit.
32 Laurent E., op. cit., p. 51.
33 Lacan J., op. cit., p. 18.
34 Ibid., p. 19.
35 Laurent E., op. cit., p. 51.
36 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, séance du 17 mai 1977, Ornicar ?, 17/18, Paris, Lyse-Seuil, printemps 1979, p. 20.
37 Ibid., p. 21.
38 Miller J.-A., le Séminaire d’orientation lacanienne « Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’Université Paris VIII, séance du 14 mars 2007, inédit.
39 Lacan J., « Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines », Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, novembre 1976, p. 15.
40 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, op. cit., p. 21.
41 Laurent E., « Disruption de jouissance dans les folies sous transfert », op. cit., p. 6.
42 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, RSI, Ornicar ?, n° 4, Paris, Le graphe, rentrée 1975, p. 96.
43 Ibid., p. 96-97.
44 Laurent E., « Disruption », op. cit., p. 6.
45 Ibid., p. 7.
46 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, op. cit., p. 23.
47 Laurent E., « Le traitement psychanalytique », op. cit., p. 53.
48 Lacan, Le Séminaire, livre XXIV, leçon du 10 mai 1977, op. cit., p. 18.
49 Laurent E., « Le traitement psychanalytique », op. cit., p. 51.
50 Ibid., p. 53.
51 Vigué-Camus A., « Une reprogrammation impossible », Mental, n° 40, EFP, novembre 2019, p. 239-240.
52 Néologisme de Lacan dans « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 16.


Dans l’après-coup du colloque, Marie Izard, membre de l’ACF en Normandie et Isabelle Izard Blanchard rendent compte de cette journée de travail.

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