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Publié le lundi 14 septembre 2020

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Septembre 2020

Le bulletin Uforca numéro 42




 {LE RIRE d'EOLE}


Il était une fois


Désuètes les fictions ? L’époque est-elle exclusivement celle du clash1, des tweets cinglants, des buzz invérifiables, des coups de théâtre vite faits vite oubliés ?

Faut-il parler d’îlots de résistance face au mouvement planétaire qui se nourrit de l’instantané, de la surprise, selon une logique de la rupture2 chère à Donald Trump ?

D’après l’analyse de Christian Salmon, qui évoque une crise de la narration, les discours du président des États-Unis « n’ont ni début ni fin, aucune forme, aucun point culminant, aucune tension narrative3 ».

Ça ne fixe plus. Ça file. La grammaire est en berne. Les chapitres menant au dénouement d’une intrigue ont laissé la place à des nouvelles chocs, infox, hoax, buzz, etc. La vie politique en est infiltrée. Les valeurs et les idéaux semblent de ce fait bien pâles au regard du suspens et de la panique – noms de jouissance ‒ créés par quelques tweets balancés, sitôt contredits.

L’appétit pour tout genre de fiction se réduit-il pour autant à peau de chagrin ? Cet appel d’air dans la grande dégringolade de l’Autre n’invite-t-il pas à résister ? Ne perçoit-on pas la soif qui demeure, soif de récits, de narrations, d’intrigues ? N’est-il pas perceptible ce goût pour les mots, pour les voix et les corps qui les portent, qui font frétiller les objets a, en même temps que les signifiants qui s’imbriquent, faisant jaillir la langue sous l’élucubration du langage4 ?

À voir les visages ébahis des enfants, buvant les voix qui narrent les histoires et épopées des Odyssées5, à entendre Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, s’enthousiasmant de la fréquentation hors pair des salles de cinéma en 20196, il y a lieu d’en douter. Et ces petits et grands lecteurs, pendant le confinement, qui s’organisaient pour se procurer des livres, presque sous le manteau, alors même que leurs librairies fétiches restaient portes closes, sont-ils des exceptions ?

Le succès des tweets clash, c’est le sacre de la jouissance. C’est l’effet des mots dans le corps en oubliant que ce sont des mots. Se contenter de dévorer sans fin les tweets et autres news sans sédiments c’est oublier la pâte dont ils sont faits.

Cette course à l’effet s’accompagne d’une vérité moqueuse. Peu importe la véracité des informations balancées. La crédibilité d’un récit n’intéresse plus personne. Citons à ce sujet la phrase du chercheur Evgeny Morozov : « La vérité, c’est ce qui attire le plus de paires d’yeux7 » Ce qui fait le poids d’une vérité, c’est la jouissance qui y est mise.

Si la psychanalyse enseigne que vérité et fiction ont la même structure8, elle s’attache à la matière dont elle est faite, à savoir les signifiants qui la tissent : la vérité n’est pas dans un écrin, elle affleure dans les signifiants mêmes.

C’est pourquoi, elle invite justement à s’intéresser au creuset qui fait l’effet de surprise et secoue le corps. Ne pas se détourner du langage, prendre au sérieux ces signifiants qui s’assemblent, ces mailles qui s’imbriquent pour raconter des histoires, en entendre leur poids de jouissance et défaire les écheveaux du langage pour atteindre lalangue. C’est le mouvement inverse de celui qui s’attache aux tweets clash, valse métonymique.

Là où la brièveté et l’instantané sont promus, sorte de Uns qui défilent et se succèdent, sans qu’il puisse y en avoir un qui s’en extraie, une psychanalyse fait jaillir, au terme d’un récit9 qui se réduit, le Un d’avant l’élucubration du langage. Si Une psychanalyse a structure de fiction10 il n’y a « rien d’illusoire ou de trompeur » dans ce terme11 ; elle est ce coup de sens, ce sens blant12.

Emprunter le chemin du récit fait d’abord croire à la fiction qui peu à peu se construit, avec sa préface, son préambule, ses chapitres, son intrigue, ses actions, son dénouement, puis sa postface. Mais ce roman auquel on croyait dur comme fer se révèlera, au terme, être une fiction volatile. En repérer la structure et les chapitres va permettre en même temps qu’ils se défassent pour faire ouverture vers le réel, là où lalangue se débusque.

Ce qui fait qu’à la question Qu’est-ce qu’il y a derrière toute cette élucubration ? répond une autre question Qu’est-ce qui reste ? Ce qui reste et ce qu’il y a derrière tout ce roman qui perd de sa prestance, c’est le réel qui continue de remuer.

On peut en avoir l’idée tout en continuant à aimer les fictions et en les sachant telles. Fruits de la parole et élucubrations de langage, ces constructions pointent, alors même qu’elles s’effilochent, le noyau qui reste : « L’inconscient réel est le lieu de la jouissance opaque au sens, que l’on peut, par fiction, entreprendre de rendre bavarde13 » comme le dit Jacques-Alain Miller.

C’est pourquoi ce numéro d’Ironik ! comprend des textes sur des œuvres de fiction (L’Éveil du printemps de Wedekind, la série adaptée du livre de Margaret Atwood La Servante écarlate, le film Sur la route de Madison…) pour mettre en lumière ce qui continue de bavarder au coeur des écheveaux du langage.

Pénélope Fay

Note :
1 Cf. Salmon C., L’Ère du clash, Paris, Fayard, 2019.
2 Salmon C., « La rhétorique et les paroles onctueuses de Macron ne réussissent plus à occulter la violence », Libération, 15 février 2019.
3 Ibid.
4 Miller J.-A., « la structure de langage, tout compte fait, n’est qu’une élucubration de savoir sur la langue », in « Une psychanalyse a structure de fiction », La Cause du désir, n° 87, 2014, p. 74.
5 Les Odysséeshttps://www.franceinter.fr/emission..., émissions de France Inter.
6 L’invité Culture, Frémaux T.,« De Cannes à Deauville ».
7 Cité par Salmon C., op. cit.
8 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 253.
9 Cf. Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », op. cit., p. 77.
10 Ibid., p. 76.
11 Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 190.
12Lacan J., « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », Ornicar ? 17/18, 10 mai 77.
13 Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », op. cit., p. 77.

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Avant-goût



La fiction dans tous ses états


Les textes publiés ici, tentent, au un par un, de rendre compte du terme de fiction, issu du latin fingere, façonner (par extension : feindre, inventer). Façonner, chacun des auteurs y tend, vers une élaboration soutenue d’où se déploient la fiction, les fictions comme défenses ou productions voilant un réel.

Le texte de Martine Versel nous permet de suivre avec clarté le cheminement de Lacan quant à la notion de fiction. L’auteure oriente son propos à partir de l’analyse, en tant qu’elle débute par une formalisation sous le signe de la révélation. Puis la répétition se substitue à la révélation avec ses effets pathétiques1, en tant qu’elles sont variables dont se nourrit la fiction. La vérité est impossible à dire car les mots manquent et l’être parlant se cogne à la jouissance, qui n’est pas de fiction. L’auteure interroge la faillite de la fonction phallique et de ses effets dans la clinique. Les séries télévisées, écrans de la modernité, dévoilent une jouissance illimitée et non localisable, notamment dans la dernière série La Servante écarlate.

Michel Galtier nous en propose une lecture à partir de deux rêves de l’héroïne de cette même fiction. Son propos s’oriente des effets du réel dans le rêve. Cette fiction du XXIe siècle s’organise à partir de l’héroïne capturée, reléguée à une place d’objet qui s’extirpe de cette place grâce à la contingence d’une rencontre amoureuse qui la réveille.

Cécile Favreau nous transporte Sur la route de Madison2 dans la rencontre de Francesca et Robert, dévoilant la position subjective de chacun des personnages où « le symptôme de l’un entre en consonance avec le symptôme de l’autre3 ».

La rencontre peut prendre les auspices de la tragédie. L’Éveil du printemps de Wedekind en est le paradigme, « du jamais vu4 ». Noémie Jan déplie la rencontre toujours ratée entre les sexes par le prisme de cette tragédie enfantine à la comédie des sexes où « seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir5 ».

La fiction est une modalité d’approche de la vérité, de la place du sujet dans la famille. Le passage par cette vérité menteuse dans les inventions de l’enfance n’est pas seulement un passage nécessaire mais un moment logique. L’interview de Sonia Chiriaco témoigne de la place de l’analyste en tant que le réel n’attend pas. Le lion bondit dans son acte là où il ne pense pas. Le lion est sur le qui-vive pour Sonia Chiriaco. Lacan propose une écriture de fiction avec un « x » faisant référence à la fixation dans le temps, dans l’histoire pulsionnelle de l’être parlant. La fixion tente d’arracher un bout de réel pour le transmettre. Tel est le ressort de la fin de la cure dont Sonia Chiriaco nous dévoile l’os.

Une fin de cure possible par la présence de l’analyste, dont Catherine Lacaze-Paule nous déplie les arêtes : du corps pelure de l’analysant au corps de l’analyste comme présent du dire.

Laurence Fournier

Note :
1 Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », La cause du désir, n° 87, juin 2014, 2014, p. 74.
2 Sur la route de Madison, 1995, film réalisé par Clint Eastwood d’après le roman de R. J. Waller.
3 Miller J.-A., « La théorie du partenaire » (1997), Quarto, n° 77, 2002, p. 6-33.
4 Lacan J., « Préface à l’Éveil du printemps », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 561.
5 Lacan J., Le Séminaire, Livre X, L’Angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 209

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 {{ {SOMMAIRE :} }}

<span style="color:#FFA500;">TRAVAUX D'UFORCA</span>


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