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Publié le mardi 5 mai 2020

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Mai 2020

Le bulletin Uforca numéro 40




 {LE RIRE d'EOLE}


Promesse à dire


Il y eut le moment de la sidération et de la stupeur. L’espace et le temps en prirent un coup. Accélération et agitation pour, parfois, faire voler en éclats la torpeur, ou alors engourdissement de la pensée, bouche close et yeux fermés. Deux façons de se tenir à l’abri de l’irruption du réel. Car ce qui a fait événement frappe ou alors encercle, entoure, peut troubler les repères et forcer à s’accrocher mordicus à ceux qui restent.
« Sidération ». Le mot provient du latin sideratio : « influence attribuée à un astre sur la vie ou la santé d’une personne1 » ; la sidération, en médecine, est un « anéantissement soudain des fonctions vitales2 ». C’est dire combien l’ordre de la nature – ou son désordre – peut interrompre l’élan vital.
« Stupeur » : « Saisissement causé par un grand étonnement, un choc émotionnel qui prive une personne de ses moyens physiques et intellectuels3 », « état d’inertie et d’insensibilité profondes lié à un engourdissement général4 ».

Ce virus qui fait événement pour la planète, envoie valser le quotidien et rend palpable l’idée de la fin ; en cela il est l’agent de cette interruption dans l’écoulement du temps. Les corps parlants sont saisis, arrêtés pour un temps, dans leurs habitudes à penser, à parler et à agir. Cette interruption, dont parfois on ne peut ni ne veut rien dire, signe encore un temps suspendu.
Parce que la situation est inédite, parce que l’après-coup se révélera dans un horizon plus ou moins lointain, songeons à ce qui peut s’y tenir larvé : création ou trauma.

Pour saisir la dimension temporelle du trauma, toujours après, évoquons alors ce temps un, ce premier moment où il y a du corps, mais pas le corps, ce temps d’avant la prise dans le signifiant, la Prägung5, l’empreinte de ce une seule fois. « Ni intégrée à l’histoire, ni verbalisée, ni portée à la signification6 », elle trouvera sa valeur traumatique dans un après, lorsque le temps aura véritablement commencé, avec son cortège de signifiants qui le fera exister. C’est l’intégration symbolique, « forme particulièrement secouante7 », qui fera ressurgir cette empreinte. Pas tout est intégré bien sûr. Il demeure « un monde entier d’ombres qui ne sont pas portées à l’existence symbolique8 ».
L’empreinte est là. Et l’événement fondamental, c’est l’incidence de la langue9.

Au moment où le COVID-19 a fait irruption, le temps avait déjà commencé. C’est en ce sens que l’on peut parler de stupeur ou de sidération : un arrêt s’est fait.
Or, l’arrêt implique une reprise. De quel tissu sera-t-elle faite ?
Il est en effet palpable que la temporalité dans laquelle nous nous trouvons comprend à la fois une interruption, le berceau d’un après-coup, et la promesse d’une urgence comme sortie de l’inertie.
Parfois, cet arrêt signe une césure : ainsi, lorsqu’advient la rencontre avec ce qui peut clore la vie, la vie suivait son flux et le réel vient interrompre ce flux. Alors l’instant se solidifie. Celui qui a fait cette mauvaise rencontre est resté « fixé au temps, au lieu même du traumatisme », nous explique Guy Briole dans la Une de ce numéro10.
Parfois encore, cet arrêt contient les fruits de l’après-coup, voire du trauma. La capacité d’engendrement ne se révèlera qu’après.

Les variations de la parole adressée donneront le la de ce qui adviendra.
Après la stupeur viendront sans doute les mots pour la dire et relancer le mouvement. Car pour que soit reconnu, ce qui fait irruption ‒ mode d’apparaître du réel ‒, une brèche doit se faire dans la sidération. Point de reconnaissance de l’irruption si le temps ne s’écoule plus, si le point d’arrêt s’éternise. Ça arrive et là où ça frappe, ça ne parle pas, ça ne pense pas.
Il y a sans doute à s’enseigner de l’absence de l’urgence à dire, qui se fait – en plein confinement – sans la présence des corps. Peut-être est-ce parce que ce temps arrêté n’a pas encore cessé de l’être ? Mais encore, que dire de ce silence lorsqu’il advient, voire quand il est réclamé ? Le silence qui bruisse est-il gros de la demande qui le cause ? Ou est-il ce retrait, cet isolement, où se devine l’absence de l’Autre ?

Parions aussi sur le plus précieux de la parole, sur ce qui fera de cette parenthèse le creux d’où jailliront la surprise et l’inédit.
Si l’urgence analytique est une poussée, elle est l’inverse de la stupeur ou de la sidération. Elle est cette trouée dans un temps arrêté. Et c’est de cette percée que surgit du neuf : « Rien de créé qui n’apparaisse dans l’urgence, rien dans l’urgence qui n’engendre son dépassement dans la parole11 ». L’urgence de satisfaction12 qui fait le rythme de l’analyse, cette expérience de parole, demande une autre sorte d’arrêt, léger rebond, pour bien vouloir s’arrêter sur ce qui trébuche, achoppe, échappe. Point d’arrêt de la sorte si le goût n’y est pas.
Faire le lit de cet espace et de ce temps où ce qui achoppe puisse être recueilli, c’est l’effort sans cesse renouvelé des analystes d’abord analysants.

C’est ainsi, aussi, qu’Ironik ! se tisse. Bonne lecture !

Pénélope Fay

Note :
1 Cf. article disponible sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).
2 Le Nouveau Petit Robert, édition 2008, p. 2368.
3 Cf. article disponible sur le site du CNRTL, op. cit.
4 Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 2442.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 214.
6 Alberti C., « Réveil exquis », La Cause du désir, n° 86, 2014, p. 35.
7 Lacan J., op. cit., p. 215.
8 Ibid., p. 216.
9 Cf. Miller J.-A., « Biologie lacanienne », La Cause freudienne, n° 44, février 2000, p. 36.
10Cf. Briole G., « Un regard en acte sur le traumatisme », à lire dans ce numéro-ci, Ironik ! 40.
11 Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 241.
12 Lacan J., Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 572

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Avant-goût



Le sentiment de la vie


L’urgence est un thème qui, de prime abord, n’apparaît pas comme un concept fondamental de la psychanalyse. Lacan y a pourtant consacré de nombreuses occurrences1. Il portait haut la notion d’urgence subjective associée à la fonction de la hâte ; c’est même avec cette urgence que le psychanalyste, selon lui, a à s’apparier dans le lien analytique. Le texte de Chantal Bonneau, dans ce numéro, nous permet de suivre avec clarté le cheminement de Lacan sur la question, au joint de la pulsion, du sujet, et du temps logique où l’urgence fait pivot, voire condition.

L’interview que Marie-Claude Sureau a donné ici à Dalila Arpin témoigne de cette urgence en acte, puisqu’en tant qu’Analyste de l’École, AE en exercice2, M.-C. Sureau visite une phrase de Lacan qui l’a particulièrement marquée, phrase qui nous arrive depuis l’énonciation d’une analyse qui est allée au bout de son urgence. Il y sera question du sentiment de la vie, de sa fragilité, de ses conditions, de ses connexions et déconnexions.

Justement, qu’en est-il quand tout s’arrête ? Quand la poussée pulsionnelle, si constante, semble se figer ou nous quitter, dans la collusion d’une mauvaise rencontre, d’un drame ? C’est alors le dit-traumatisme. Mieux connu sous le terme de trauma en psychanalyse.

Il y a bien une forme d’urgence à reconstituer un lieu d’adresse pour ceux qui, dans les heurts plus ou moins fracassants de l’existence, ont perdu la parole ou répètent en boucle3 ce qu’ils ne peuvent porter au récit. Nous serons introduits alors, avec le tact de Guy Briole, à l’art de dénouer sans défaire soit, à porter une attention spéciale aux conditions de sortie de l’isolement pour un sujet qui s’est vu avalé par l’histoire. Vous trouverez dans ces pages l’exemple très vivant d’un parcours qui va de l’arrêt quasi-total de ce qui faisait la trame d’une vie, à sa reprise, en la parole de Philippe Lançon dont Marie-Christine Bruyère se fait ici passeuse. Comme le rappelle Valérie Bussières qui nous reconduit avec précision à la découverte freudienne, il ne faut jamais oublier qu’à côté de « la réalité pratique », il y a « la réalité psychique », sans quoi l’évènement est pris en masse dans l’accident, et c’est alors le destin qui gouverne le sujet. Pour retrouver l’élan, sinon la poussée, il faudra se mettre en quête du petit fil susceptible d’inventer une nouvelle trame pour que s’infiltre de nouveau, le sentiment de la vie.

Vanessa Sudreau

Note :
1 Notamment, Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573, et « Du sujet enfin en question », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 236.
2 L’Analyste de l’École, après avoir fait la Passe et dans l’exercice d’un mandat de trois ans, est appelé.e à témoigner des effets de la fin d’une analyse.
3 C’est un point abordé dans le texte de Guy Briole dans ce volume.

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 {{ {SOMMAIRE :} }}

<span style="color:#FFA500;">TRAVAUX D'UFORCA</span>


A LA UNE


Un regard en acte sur le traumatisme
Guy Briole, Invité Section clinique de Lyon

Chacun peut être confronté à la rencontre de ce qui, dans un événement, fait accident. C’est ça le trauma, ce qui fait trou, effraction du réel. Le regard y est central : quelque chose de cette rencontre malheureuse avec le réel regarde le sujet en face. Lire la suite

L’urgence et la satisfaction dans l’expérience analytique
Chantal Bonneau, Section clinique de Nice

Qu’est-ce qui pousse le sujet à entrer en analyse ? C’est une urgence pour la vie, nous dit Chantal Bonneau. Quand l’urgence subjective devient la hâte suite à la satisfaction d’une rencontre contingente avec la vérité, arrive son dépassement pour toucher un impossible et éprouver la satisfaction singulière de sa solitude radicale. Lire la suite

Le lambeau : le nom de ce trauma, là
Marie-Cristine Bruyère, Section clinique de Toulouse

Tel le Petit Poucet, Marie-Christine Bruyère suit le chemin de l’écriture de Philippe Lançon dans son récit Le Lambeau afin de débusquer le réel en jeu là où la parole a fait défaut. P. Lançon raconte un tas de petites choses anodines ou intimes dont l’enjeu pour le sujet est de recoudre la chaîne signifiante interrompu dont Marie-Christine Bruyère articule l’instant de voir, le travail du rêve où surgit l’inconscient, le réel du trauma et l’issue par l’écriture. Lire la suite

Le trauma, pas sans le fantasme : une écriture logique
Valérie Bussières, Section clinique d’Avignon

« Le trauma, pas sans le fantasme » : Valérie Bussières déploie pour nous cette formule resserrée. Qui du fantasme ou du trauma est premier ? Comment s’articulent-ils ? Quelle valeur accorder au « pas sans » ? L’article nous mène sur les traces de Freud qui a d’abord cru en la réalité traumatique de la séduction de l’adulte envers l’enfant. Pour Lacan, le trauma est de structure, il devient troumatisme, soit l’incidence de lalangue sur l’être parlant. Lire la suite


<span style="color:#FFA500;">LACAN SENS DESSUS DESSOUS</span>


Dalila Arpin interviewe Marie-Claude Sureau

Marie-Claude Sureau explique en quoi la phrase de Lacan « Il est clair qu’il s’agit là d’un désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet… » a été une boussole dans sa clinique, dans les cas pour lesquels la question diagnostique est problématique et où parfois seul le sentiment de la vie est l’indication que quelque chose est touché. Lire la suite

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