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Publié le mercredi 12 février 2020

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Février 2020

Le bulletin Uforca numéro 38





 {LE RIRE d'EOLE}


Déshabillage du genre


« Devant le fou, devant le délirant, n’oublie pas que tu es, ou que tu fus, analysant, et que toi aussi, tu parlais de ce qui n’existe pas1. »

Il y a des siècles, Aristote s’attacha à définir les bases de l’ontologie et de la logique. Sa pensée systématique découpa les diverses façons selon lesquelles l’être pouvait se dire dans le langage. Les catégories listées comme telles, étaient autant de déterminations. Le genre en fait partie.
Sous les déterminations diverses et variées : l’être. Autant dire que ça consiste.

Aristote remonte le chemin des catégories afin de débusquer ce qui reste tel quel en dépit des changements et des déterminations. Mais en même temps, il explique que les êtres en puissance, ceux qui n’ont pas encore reçu de détermination, ceux qui ne sont pas encore qualifiés, vont vers de plus en plus de forme.
La matière première allait donc trouver forme. L’être en puissance se transformer en être en acte. Par exemple, lorsque les outils feraient leur office, un bloc de marbre (l’être en puissance donc) pourrait être sculpté en cheval, ou alors en femme, en verre à pied… L’être était appelé à se déterminer.
Il y a un point de départ qui donne le mouvement. Tout est déjà là : il s’agit de le mettre en acte, d’aller à la pêche aux déterminations.

C’est bien l’inverse que nous enseigne la psychanalyse. Ce qui est déjà là, c’est le langage. Les catégories distribuées par la structure brillent par leur statut de semblant. Et, notamment : « l’homme et la femme », qui sont « d’abord affaire de langage2 ».
Or, à se contenter du langage selon son unique abord performatif, selon le versant qui fixe, qui fige, et qui donne illusion d’essence, on en rate la sève. Réduit à cela, il ouvre à la croyance aux identités, aux êtres enfin mariés à leurs qualités, au rapport sexuel, à une compréhension totale.
C’est tout autre de s’approcher de lalangue, de ce qui déborde la structure du langage et prend sa source dans le corps : là, on voit bien que les étiquettes se tordent. La dimension de suppléance au rapport sexuel qu’il n’y a pas ‒ qu’est le langage ‒ apparaît.

Le genre conçu comme identité, est une colle pour l’être. Conçu de la sorte, il aurait non seulement le premier mot, mais aussi le dernier mot de l’affaire.
Or, c’est tout autre que de considérer le genre comme « ce après quoi le sujet court3 ». Là, ce serait le chemin qui intéresse plutôt que la case dans laquelle se loger, à l’arrivée. L’arrivée fait en effet exploser les catégories de l’universel. C’est un déshabillage du genre. Non un ordre de genre.

Déshabillage qui enseigne, au final, quel est le choix de chaque sujet eu égard aux formules de la sexuation, comment s’organise, s’habille, se dit, s’articule, « la part dite homme » ou « la part femme4 ».

Comment ne pas voir un parallèle avec la clinique telle qu’elle nous est insufflée par l’enseignement de Jacques Lacan et de Jacques-Alain Miller ? Les catégories de l’universel sont déshabillées, creusées, défrichées, non seulement pour mieux en voir les sillons, le chemin dans lequel un sujet s’est engagé, mais aussi pour recueillir la préciosité du dire, joyau du singulier.

La boussole de la singularité, comme Victoria Horne Reinoso a titré son intervention, est cet outil qui donne le tracé d’un chemin qui n’est jamais le même pour tous. Une boussole à géométrie variable. Un outil qui se réinvente sans cesse. La matière première, bien sûr, demeure, sous peine de s’y perdre tout à fait. Mais, à l’opposé de la pensée aristotélicienne où tout serait conçu comme déjà là, en puissance, dans la matière, la clinique lacanienne se veut ironique, travaillant avec la « référence vide5 ». C’est le « secret de la clinique universelle du délire6 ». Les mots et les choses ne sont pas en adéquation. « Je suis … » a toujours quelque chose de douteux quant à l’être.

La jouissance est toujours dans le coup, dessous, dedans, de travers. C’est pourquoi l’existence, conçue dans sa trajectoire, ses brouillons, ses ratées, transcende le cadre de l’essence. Or, c’est cet espace ouvert qui donne du souffle et qui pousse à.

En avant pour la nouvelle mouture d’Ironik !

Pénélope Fay

Note :
1 Miller J.-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne, n°23, février 1993, p. 13.
2 Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … Ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 40.
3 Leguil C., L’Être et le genre, PUF, Quadrige, Paris, 2018, p. 25.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 74.
5 Miller J.-A., « Clinique ironique », op. cit., p. 10.
6 Ibid.

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Avant-goût



Dans l’après-coup des dernières Journées de l’École, Femmes en psychanalyse, ce numéro d’Ironik ! se propose de revenir sur la différence des sexes et le genre. L’intervention de Paul B. Preciado aux J49 nous a montré encore une fois qu’être (un) homme ou (une) femme ne va pas de soi. Pour la psychanalyse, l’anatomie ne détermine nullement notre position sexuée.

Avec l’article de Delphine Tchilinguirian, nous suivons l’élaboration de Freud sur sa théorie de la sexualité. Autant le garçon, nous dit l’auteure, s’attarde dans l’irrésolution concernant la possibilité d’un manque phallique, autant la fille a la certitude qu’il lui manque quelque chose et elle veut l’avoir, c’est le Penisneid. Avoir ou non le phallus, Lacan logicise le phallus en tant que signifiant du désir pour développer plus tard sa théorie des jouissances articulée à son tableau de la sexuation. Être le phallus pour la femme avec la mascarade féminine et assurer son avoir pour l’homme dans la parade virile, le genre se révèle dans le semblant.

Être une femme, être un homme se jouent dans ce rapport différentiel avec le faire signe à l’autre qu’on l’est1.

Virginie Leblanc reprend la question du genre en s’interrogeant sur les reproches adressés par les gender studies à la psychanalyse, qui défendrait avec le concept du phallus la binarité sexuelle et l’ordre patriarcal. Elle déplie le concept de genre créé par Stoller puis théorisé par Butler en l’articulant avec le tout dernier enseignement de Lacan. Butler dénonce les normes, le discours, l’Autre qui assignent le sujet à un sexe et elle propose de subvertir les genres en jouant sur la performativité du langage en brouillant les pistes, en rendant inintelligible le rapport sexe / genre. Virginie Leblanc rappelle l’importance de l’acte qu’engendre cette phrase de Lacan : « L’être sexué ne s’autorise que de lui-même […] et de quelques autres2 » et le « non rapport sexuel » confrontant le sujet à une certaine forme de solitude avec sa jouissance qui toujours excède.

Cependant, la psychanalyse se place au-delà de la question du genre. Elle dépasse l’identification et l’auto-nomination à des communautés de jouissance qui, en souhaitant renverser la discrimination dont elles ont souffert, instaurent de nouvelles formes de ségrégations par et entre les modes de jouissance. La psychanalyse, elle, permet une désidentification pour en venir à une création sinthomatique singulière. Virginie Leblanc conclut avec Marie-Hélène Brousse : « Une analyse déplace l’accent des semblants qui se défont vers l’inconscient réel, qui relève du sexuel dans le corps plus que du sexué dans l’Autre3. »

Monique Degeribus illustre ce trouble dans le genre avec l’invention singulière de Brice Dellsperger. Amoureux du cinéma, il réalise un remake de moments d’un film en jouant tous les rôles tout en respectant le rythme et la bande son du film. Toute différence des rôles, des sexes est gommée par le clonage de l’acteur rappelant ainsi leur nature de semblant.

L’interview de Marie-Hélène Blancard poursuit le thème de notre numéro en commentant cette très belle phrase de Lacan : la femme « porte vers le plus-de-jouir, parce qu’elle plonge ses racines, elle, la femme, comme la fleur, dans la jouissance elle-même4 » et en déployant le parcours du concept de jouissance dans l’enseignement de Lacan de la jouissance phallique, la jouissance absolue, la jouissance féminine illimitée à sa généralisation avec la jouissance de l’Un. Dans la cure, il s’agit, nous rappelle-t-elle, « de faire de l’Un ce point de réel qui échappe aux fictions de l’être, qui est du côté de l’existence et qui fonde le sujet dans son rapport à la jouissance et dans son rapport au corps parlant, vivant. »

Ce qui nous amène au beau travail de Victoria Horne Reinoso répondant au thème « Comment s’orienter dans la clinique ? » avec la boussole de la singularité. Appuyée sur les cours de Jacques-Alain Miller et le dernier enseignement de Lacan, l’auteure déplie l’articulation entre le singulier de chaque parlêtre, le particulier des classes cliniques, le général d’un grand nombre et l’universel du tout. Elle explique ensuite comment ces trois énoncés dans leur formulation radicale et universalisante : Il n’y a pas de rapport sexuel, Toutes les femmes sont folles, Tout le monde est fou, démontrent qu’il n’y a pas d’universel possible, mais la singularité radicale de chaque parlêtre. Enfin, les cliniques borroméenne et du sinthome travaillent à partir de l’Un de jouissance de chacun pour redonner un plus de vie, une nouvelle relation à la contingence, un certain allègement et un savoir y faire avec sa jouissance symptomatique.

Lisa Huynh-Van

Note :
1 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2007, p. 32.
2 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 9 avril 1974, inédit.
3 Brousse M.-H., « La moitié de LOM », La Cause du désir, n°95, 2017, p. 49.
4 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 89.

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 {{ {SOMMAIRE :} }}

<span style="color:#FFA500;">TRAVAUX D'UFORCA</span>


La boussole de la singularité
Victoria Horne Reinoso

Victoria Horne-Reinoso nous engage ici dans une épopée lacanienne vertigineuse, comme y parviennent singulièrement ceux qui sont allés au bout de leur cure. Avertie de la rugosité du trajet, elle ne nous laisse pas sans la rampe d’un fil rouge pour nous permettre de franchir un passage. Quel passage ? Celui d’un lieu à l’autre, mais d’un lieu qui n’annule pas l’autre : de la clinique du particulier, des classes, du diagnostic, fort utile et sans laquelle la seconde n’existerait pas, elle nous fait glisser, avec le dernier Lacan et J.-A. Miller vers la clinique du sinthome, du singulier, là où la boussole n’indique pas le même nord pour chacun. V. H.-R. nous invite à prendre part aux conséquences du dernier enseignement de Lacan, là où le père migre de l’universel pour s’établir dans la singularité qui suppose un corps où s’ancrer. Lire la suite

Facticité de l’anatomie
Delphine Tchiliguirian, Section clinique d’Aix-Marseille

Delphine Tchilinguirian nous convie à la thèse freudienne du phallicisme de l’inconscient où présence et absence du pénis font signe aux enfants. Dès le premier regard, la petite fille, en proie à l’invidia, s’affronte au complexe de masculinité. Las, en attribuant aux femmes « un représentant de la libido appartenant aux hommes », Freud provoqua la querelle du phallus ! Plus tard, Lacan décernera au phallus son statut de signifiant, signifiant du manque et du désir de l’Autre. Ici, à l’envers du Penisneid, se déploient la fiction de la mascarade et de la parade virile. S’appuyant sur la Comtesse Castiglione et les indications de Lacan, D. Tchilinguirian en déploie les conséquences. Lire la suite

Brice Dellsperger
Monique Deregibus, Section clinique d’Aix-Marseille

Connaissez-vous Brice Dellsperger ? Depuis le milieu des années 1990, l’artiste joue avec l’univers cinématographique qu’il réinvente en le tordant sans modération. M. Deregibus nous invite à le découvrir. Usant du travestissement, il revisite les grands classiques, sous forme de remake où il incarne tous les personnages du film : homme, femme, enfant, personne âgée… Tout en respectant la bande son originale, la durée, le découpage des plans séquences, il propose une réinterprétation de l’œuvre originale et y introduit un « dérèglement ».
Drôle, décalé, voire kitch, ou dérangeant ? Le trouble est de la partie. S’y dénonce ici le caractère illusoire et hypnotique de l’imaginaire. Lire la suite

Homme, femme, question de genre ?
Virginie Leblanc, Antenne clinique d’Angers

Le genre est-il défini par la nature, par le sexe biologique ? Ou bien serait-il une construction symbolique, culturelle ou encore lié au processus de socialisation ?

A travers les enseignements de Freud et Lacan, Virginie Leblanc déplie au contraire un au-delà du genre : en tant que le sujet est un être parlant, seul face à la jouissance, condamné à l’absence de fusion et à la solitude.
C’est un aggiornamento du malentendu entre psychanalyse et études de genre qui nous est livré ici.
Loin de s’identifier aux modes de jouissance, de s’en tenir à l’assignation de l’Autre, la psychanalyse lacanienne fait le pari de l’invention du sujet, de la contingence de la rencontre face à l’impasse sexuelle. Lire la suite


<span style="color:#FFA500;">LIRE AVEC</span>


Il s’agit de lire avec Lacan les expressions du discours contemporain. Et de lire Lacan avec, comme points d’interrogation, ces déclinaisons.

SMARTWEB

OK, Boomer ! Une nomination à l’envers du père jouisseur
Quentin Dumoulin

Que recèle l’insulte OK Boomer ! ? Quel est cet Autre appelé à chuter de son piédestal, ramassé dans cette adresse ? Quelle est cette figure de maître déchu pointé dans cette formule qui circule sur les réseaux sociaux et les radios ? Décryptage de l’ironie qui s’y loge. Lire la suite


REUSEMENT LA LETTRE

Bol d’air
Marie Laurent

À la fin de son enseignement, Lacan fait valoir la possibilité d’un usage de la lettre distinct de celui qu’offre le signifiant. Le signifiant est ce qui s’entend, la lettre, ce qui s’écrit. Cheminement vers la lecture, rendue possible par la lettre. Lire la suite

<span style="color:#FFA500;">LACAN SENS DESSUS DESSOUS</span>


Entretien avec Marie-Hélène Blancard

A partir de la phrase de Lacan : « la femme porte vers plus de jouir parce qu’elle plonge ses racines, elle la femme, comme la fleur dans la jouissance elle-même », Dalila Arpin et Marie-Hélène Blancard se livrent au jeu de l’interview… Lire la suite

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