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Publié le mardi 21 février 2017

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – janvier 2017

Le bulletin Uforca numéro 21

Son adresse a un nom...



L’époque « scientifise » l’humain toujours plus avant dans des objectivations du discours. Mais ce qui est forclos fait retour : les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles.

Le sujet qui s’avance à la rencontre d’un analyste sait que le fin mot de l’être humain ne peut se résorber dans les lois de la nature et que la douleur relative à sa chienne de vie ne peut être saisie in extenso de l’extérieur. Pour autant, il choisit de ne pas rester balloté par ses affects. Il veut pouvoir en répondre et se repérer dans ce qui le détermine, dans son mode de jouissance aussi bien, toujours singulier mais néanmoins influencé par les discours ambiants et dont son propre corps est caisse de résonance.

À son analyste, il suppose de savoir les règles du jeu, du réel et de ce qui permet de savoir y faire. Son adresse a un nom, le signifiant du transfert. C’est le thème du prochain colloque UFORCA. Comme chaque année, Gil Caroz confie aux lecteurs d’Ironik ! son argument.

Le colloque sera l’occasion d’un travail de recherche, car si le savoir n’est pas clos, si les modes de jouissance sont datés, la psychanalyse se doit d’en tirer les conséquences théoriques et cliniques…

Un mois à l’avance, les participants seront conviés à lire les textes destinés à être étudiés. Le jour J, le matériel, aussi précis que divers par son style, donnera lieu à une conversation avec les auteurs : interrogation des résultats, comparaison des constructions, déductions ensemble au risque de la mise en question des théories antérieures, déplacement de perspectives. Le réel en jeu est remis à la fonte. Le pari est d’en arracher un bout !

Ironikement vôtre !

Marie Laurent

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Signifiants du transfert

Colloque Uforca 2017

Introduction au colloque


S ------------> Sq
_____________
s (S1,S2,…Sn)

L’algorithme du transfert
Autres écrits, p. 248


Ce thème du Colloque Uforca 2017 fait suite « naturelle » à celui du colloque précédent, Le point de capiton. Dans les deux cas, il s’agit d’un signifiant d’exception dans la chaîne discursive, un signifiant qui fait poids, qui intervient de façon effective dans la vie d’un sujet, qui modifie sa façon d’être dans le monde. Or, si ces deux phénomènes discursifs ont ces traits en commun, ils se distinguent par les temps logiques qu’ils prennent dans le discours. Le point de capiton a des affinités avec le moment de conclure. Il participe au bouclage de la signification. S’il scande l’existence du sujet par un avant et un après, c’est parce qu’il marque un passage d’une position ambiguë à une position tranchée. Le signifiant du transfert a, quant à lui, plutôt une affinité avec l’instant de voir. Son apparition est furtive et il ne fait pas sens. Bien au contraire, il fait trou dans le ronronnement de la signification en ce qu’elle a de fantasmatique. Il provoque un « qu’est-ce que cela veut dire ? » qui répond à une irruption d’un réel dans le tableau de la réalité. Plutôt qu’un bouclage d’une signification, il fait énigme et il appelle à une interprétation, à l’instar de l’appel fait par un S1 à un S2. Par cet appel même, il devient une représentation singulière d’un trou, d’une déchirure, d’une béance qui s’est ouverte dans le champ de la signification.

Ce signifiant énigmatique est sans doute l’un des derniers bastions qui résiste à la forclusion généralisée du savoir. On regrette le Dieu de Einstein à propos duquel Lacan disait que s’il était compliqué, il n’était pas malhonnête1. Bien sûr, par cette honnêteté même, ce Dieu constituait une négation de l’inconscient en tant qu’il est « rusé » car ancré dans un réel sans loi. Mais cela n’a pas empêché Einstein d’avoir un transfert à un quelconque qui était quelqu’un et qui avait le nom de Freud. C’est à lui qu’il adresse son signifiant du transfert, la question qui le taraude : « pourquoi la guerre ? ». Nous regrettons même le temps de « l’irrésistible behaviorisme2 » de ceux qui, ayant débuté leur chemin dans la psychanalyse, ont finalement choisi une voie qui s’y oppose. On regrette ces behavioristes car s’ils ont dénié l’inconscient, c’était par transfert à la psychanalyse. Négatif, certes, mais toujours un transfert, adressé à un sujet supposé savoir. Mieux vaut un transfert négatif qu’une indifférence, voire une méconnaissance.

Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui n’est plus cette défense bon enfant contre ce que l’inconscient a de « Unheimlich fort peu rassurant3 » . Il ne s’agit plus de transfert mais d’une indifférence qui rejette, par un cause toujours méprisant, tout plaidoyer de l’effet de la parole. Il ne faut plus connaître la psychanalyse pour la condamner et l’interdire. Nous avons été exposés récemment à une « constatation », par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, de l’inefficacité de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme4. Cette déclaration aucunement fondée reste soft au regard d’autres prises de positon voulant mettre la psychanalyse au pas d’une législation. Le sujet supposé savoir est attaqué en justice. Pas plus tard qu’en décembre 2016, lors d’une audience à la Cour constitutionnelle belge concernant un recours contre la loi sur les professions des soins de santé mentale, l’avocat du Conseil des Ministres a débuté son plaidoyer en défendant l’idée que l’approche Evidence-Based est nécessaire puisqu’il est notoire que Freud manipulait ses résultats pour servir ses intérêts5.

On sait aussi la duperie de l’idéologie évaluatrice qui nous promet que si tous les sujets supposés savoir sont consommés, nous avons tout à attendre de l’objet mesuré. Celui-ci nous dira ce qu’il y a à savoir. Sauf que l’objet ne dit rien, ce que montre l’épidémiologie en santé mentale, machine numérique d’auto-évaluation par le questionnaire qui est en soi une forme de dénégation profonde de l’inconscient6. Un dernier rapport d’experts du « Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé » en Belgique stipule (entre autres idées loufoques) que la « prise en charge » psychologique à court terme (1 à 5 séances) est suffisante car elle est considérée comme satisfaisante par la grande majorité des cliniciens et des patients7. On nous demande de prendre au sérieux ce « savoir » chiffré qui s’extrait d’opinions transparentes à elles-mêmes.

Les signifiants du transfert, émergeant comme trou dans le savoir absolu qui nie l’inconscient, sont donc une chance. Ceci surtout lorsqu’ils viennent trouer le « savoir » basé sur la loi du chiffre rejetant l’inconscient. Les manifestations signifiantes sous forme de symptômes, rêves, lapsus ou actes manqués introduisent une opacité dans ce « tout savoir » qui ne sait rien de l’inconscient. Tout va là à l’encontre de l’indifférence, puisque ces signifiants du transfert sont autant d’appels, de demandes adressées à l’Autre, un embrayage sur le sujet supposé savoir mais aussi sur le désir de l’Autre. Ainsi, les signifiants du transfert arrachent le sujet à la solitude dans laquelle le discours scientiste le laisse avec sa jouissance.

Or pour le sujet, dans un premier temps, le signifiant du transfert est le signe d’un trauma, d’une déchirure dans le fantasme, de l’horreur de la découverte qu’aucun signifiant ne le représente, que ses pensées, son comportement ou son existence même sont voués au hors-sens. C’est donc le signe d’une rencontre avec le réel marquée par l’urgence8 de se dépasser, de se nouer, de « s’impliquer » avec un deuxième signifiant. De ce deuxième signifiant, signifiant quelconque, Sq, est attendue une interprétation, une restauration d’une signification ou un sens nouveau. S’il est quelconque, ce signifiant est néanmoins porté par quelqu’un, un psychanalyste parmi d’autres. C’est de cette implication, dans cette rencontre du signifiant du transfert avec le signifiant quelconque que se produiront deux suppositions : la supposition d’un savoir inconscient en place de vérité (S1, S2, …Sn), et celle d’un sujet non moins supposé à ce savoir inconscient, s. Ce sujet supposé n’est donc pas l’analyste mais la réponse à la question « Qu’est-ce que ça veut dire ? » que représente le signifiant du transfert par l’hypothèse que ça dit quelque chose d’inconscient.

Au commencement était le transfert. Jacques-Alain Miller attire notre attention sur la proximité entre le pouvoir déclenchant du signifiant du transfert au début d’une analyse et les phénomènes qui régissent le déclenchement d’une psychose10. L’hallucination de l’homme aux loups peut servir ici d’exemple d’un équivalent dans la psychose à l’émergence du signifiant du transfert dans la névrose. Cet épisode vécu par l’homme aux loups comme un moment hors du temps où il est laissé tomber par l’Autre est une coupure de la trame symbolique, à l’instar de l’énigme produite par le signifiant du transfert. Mais là où cette énigme se résout par une demande d’interprétation de l’analyste, nous voyons apparaître dans la psychose le phénomène de perplexité suivi d’un délire d’interprétation. Le sujet est confronté à des signifiants qui lui paraissent opaques et qu’il interprète par le délire. Dans la rencontre avec un analyste, si rencontre il y a, la signification de l’inconscient ne surgit pas. Le savoir supposé à la personne de l’analyste est susceptible d’installer une paranoïa, c’est-à-dire, un sujet supposé jouir de l’analysant. Dès lors, le rôle de l’analyste sera celui d’un modérateur de la construction d’une métaphore délirante, un signifiant quelconque capable de tempérer la signification de persécution11.

Le rôle de signifiant du transfert ne s’arrête pas au début d’une analyse. Ce signifiant est aussi l’opérateur du passage qui s’effectue dans l’analyse du symptôme dont le sujet souffre et qui le conduit en analyse, au symptôme au sens analytique, celui qui s’adresse à l’analyste pour être déchiffré, ce que Freud a nommé « névrose de transfert ». Ainsi, la constitution, dans l’analyse, de ce symptôme comme croyance redouble l’institution du sujet supposé savoir. Le signifiant du transfert est en quelque sorte le noyau du symptôme analytique en tant qu’il est différent du symptôme médical. C’est le germe de la cristallisation de ce symptôme12 et, en tant que tel, il reste présent jusqu’à la fin de l’analyse. Une fin qui se présente comme un retour au signifiant du transfert qui prend son indépendance car il renonce à l’appel à un S2, un Sq, en s’isolant comme point de hors-sens tolérable a minima. Dès lors, l’inconscient n’est plus supposé, il n’est plus transférentiel. Il est réel. Le désêtre qui a poussé à la mise en place du sujet supposé savoir laisse sa place à une destitution du sujet qui lui permet d’occuper la place du quelconque.

Gil Caroz

Notes :
1 LACAN J., « La méprise du sujet supposé savoir », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.330.
2 ibid., p. 332.
3 ibid., p. 329.
4 Nations Unies, Convention relative aux droits de l’enfant du 23 février 2016.
5 Compte-rendu de l’audience du 7 décembre 2016
6 MILLER J.-A., “Notre sujet supposé savoir”, La lettre mensuelle, n° 254, janvier 2002.
7 KCE REPORT 265Bs,SYNTHÈSE,MODÈLE D’ORGANISATION ET DE FINANCEMENT DES SOINS PSYCHOLOGIQUES
8 MILLER J.-A., “L’inconscient réel”, Quarto, n° 88-89, décembre 2006.
9 LACAN J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 248-249.
10 MILLER J.-A., « Come iniziano le analisi », La Cause freudienne, Paris, Navarin/Le Seuil, n°29, février 1995, p. 11.
11 Ibid.
12 MILLER J.-A, “C.S.T.”, Ornicar ?, n°29, 1984.

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