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Publié le mercredi 2 novembre 2016

A lire...

Couples célèbres, Liaisons inconscientes

Un livre de Dalila Arpin

Coup de projecteur sur quelques duos célèbres. Que nous enseigne leur histoire ? Dépareillés ou assortis, certains couples durent. D’autres plus éphémères peuvent marquer à vie.

À quoi tient le lien amoureux ? Faire couple semble parfois aller de soi. Souvent, c’est incertain, voire conflictuel. On nous promet l’amour idéal en un clic. Existerait-elle la formule du parfait accord ?

Une lecture psychanalytique offre un éclairage inédit. Dalila Arpin relève, au-delà des apparences, ressorts insoupçonnés et attaches mystérieuses. Dynamiques tenaces, traces indélébiles, révélation soudaine, heureuse contingence... L’essentiel pour chaque partenaire agit à son insu. Quand chacun parle la langue de son inconscient, selon quelles logiques l’amour devient-il possible ?

Chemin faisant, ces parcours mythiques et toujours singuliers nous parlent, encore et encore, de ce qui tisse et délie les couples.

Dalila Arpin, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne (ECF) et de l’Association mondiale de psychanalyse (AMP). Originaire d’Argentine, elle codirige la revue Latigo (The lacanian transatlántica de investigación) et contribue à transmettre le vif de la psychanalyse, avec joie et légèreté de style.

Ce livre est édité par les Éditions Navarin/Le Champ freudien ; il sera disponible en librairie à partir du 17 novembre et également en vente sur internet

L’auteur dédicacera son livre le 5 novembre à 13h
en avant-première aux 46es journées de l’ECF

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Dans Lacan Quotidien 606

{Couples célèbres, Liaisons inconscientes

Le livre de Dalila Arpin

par Hélène Bonnaud

La psychanalyse s’intéresse au couple, faisant de la question posée par Freud « Qu’est-ce qu’une femme ? » son point d’énigme et qui peut s’étendre aujourd’hui à « Qu’est-ce qu’un couple ? »

C’est cette interrogation que Dalila Arpin a mise au travail, à partir de sa propre expérience puisqu’elle nous confie que le couple de ses parents, dans son analyse, a été une énigme pour elle et c’est en toute logique qu’elle s’est intéressée aux couples célèbres dont on imagine toujours qu’ils répondront à ce mystère de l’amour. Comment se choisit-on ? Qu’est-ce que le désir ? S’oppose-t-il à la jouissance ? S’agit-il d’amour ou de sacrifice ? Peut-on aimer jusqu’au délire ? Comment évolue un couple dans le temps ? Quelles conséquences peut-on déduire de ce nouage entre un homme, une femme et la célébrité ? Ce dernier terme fera-t-il tenir le couple ou bien sera-t-il ce qui le fera imploser ?

Une logique inconsciente
Le livre de Dalila Arpin nous transporte dans les méandres de l’amour et du choix d’objet, dans la logique inconsciente qui préside à la vérité du « couple familial1 » et qui lui est insu. Car, si nous croyons à l’amour, c’est bien parce que ce lien unique et essentiel, qui a fondé notre être dès le début de la vie, nous le perdons et le retrouvons souvent dans le partenaire que nous nous choisissons. Freud en a découvert la puissance en écoutant la vie amoureuse de ses patients.
Lacan, lui, a privilégié l’abord par la jouissance qui permet de choisir son partenaire pour satisfaire quelque chose qu’on ignore, et qui ne pourra se cerner que dans l’expérience analytique. Ainsi, les couples les plus improbables sont-ils parfois les plus solides, car deux modes de jouir y entrent en résonance l’un avec l’autre. Les opposés, les mal assortis trouvent ainsi une façon de faire couple qui échappe le plus souvent à l’entendement des proches.

Quand la célébrité fait symptôme
Ce livre nous fait pénétrer dans les ressorts de la vie amoureuse des couples dont Dalila Arpin a décidé d’étudier la rencontre et ses contingences, et d’expliciter le nouage qui lie un homme et une femme dès lors qu’ils doivent faire avec la singularité de leur histoire. De ce fait, être partenaire d’un homme ou d’une femme célèbre implique une position souvent marquée par un dévouement extrême, une façon de porter attention à celui ou celle qui occupe une position d’exception, signe d’un amour où l’admiration et le soutien permanent du désir de l’autre se situe au-delà du couple. À suivre Dalila Arpin dans sa recherche, rien n’est écrit à l’avance mais quelque chose s’écrit dans la rencontre elle-même entre deux personnes qui vont faire de leur couple une épopée. Si la célébrité d’un des deux partenaires fait miroir aux alouettes pour l’autre, elle peut être un symptôme douloureux quand il s’agit de partager la vie de celui dont le désir est porté par une œuvre ou une action dans le monde. Et c’est sur cette question des limites de l’amour que chaque couple se distingue, lorsqu’il doit s’extraire ou pas d’une destinée portée vers une cause comme dans l’histoire d’Evita et de Juan Perón, ou d’une autre attachée à un corps comme dans le couple de Marilyn Monroe et d’Arthur Miller, ou encore de celle tracée par la folie de sa femme Zelda dont se nourrit Scott Fitzgerald pour écrire l’un de ses plus beaux romans. La célébrité ne fait pas toujours cause commune, mais peut en effet conduire à faire exister le Un du couple pour sauvegarder la notoriété du partenaire et suspendre son propre désir face aux intérêts de celui-ci. Le désir de l’un sacrifié à la jouissance de l’autre ? C’est la vraie question. C’est là que se situe le mystère de ces unions.

Cet ajointement de l’un à l’autre n’est pas toujours possible et la différence des sexes trouve là son expression la plus marquante. Les femmes sont parfois les égéries les plus douées pour satisfaire leur homme quand il s’agit de promouvoir leur réussite, de mettre en œuvre leur talent, de concevoir leur art comme un objet précieux, irremplaçable, et de perpétuer ainsi leur désir de poursuivre leur destin. Parfois, une femme peut s’aliéner à un homme reconnu pour son art, sa création, son œuvre, pour satisfaire son désir de reconnaissance car être la femme d’un tel homme la hisse sur l’escabeau du monde. C’est ce que nous apprend le couple de Salvador Dalí et de Gala, qui voua sa vie à protéger son mari angoissé et à le soutenir jusque dans son délire de persécution. Mais c’est aussi le désir d’un homme pour une femme qui le soutient et, comme dans un miroir, lui renvoie l’image idéale qu’il veut avoir de lui-même. Le couple Fitzgerald est particulièrement parlant à cet égard, le fantasme de Scott ayant trouvé en Zelda la femme fragile et démunie qu’il voulait combler.

Une éthique de l’analyse
Dans la série de tableaux qu’elle nous présente, Dalila Arpin n’a pas cherché à glorifier la vie de ces couples célèbres. Au contraire. En jeu dans son livre est la façon dont sa lecture orientée par la psychanalyse lacanienne lui permet de soutenir et d’éclairer le fonctionnement de ces couples, au un par un, jusqu’à y lire le plus opaque de la relation qui les noue. L’enjeu est délicat tant il pourrait vite tomber dans les vicissitudes des récits dont se nourrit toute une littérature à l’affût des complexités de la vie amoureuse des célébrités.
Là, il s’agit de faire entendre – comme cela se construit au cours d’une analyse – en quoi le partenaire-symptôme dans un couple, célèbre ou pas, fait résonner l’expérience d’une vie, dévoilant ainsi non pas que les deux qui se sont choisis parlent une langue qui leur serait commune, mais que la langue de l’un parle à l’autre. De ce fait, l’attirance entre deux personnes ne se conçoit pas dans une série d’intérêts communs – comme on le voit promu sur les sites de rencontres, pariant sur une similitude d’objets à partager –, mais se fonde sur quelque chose qui ne se définit pas, ne se nomme pas et néanmoins s’infiltre dans la trajectoire et les traces laissées par l’histoire du couple. Lettres, documents, biographies, cahiers intimes sont ici convoqués pour étayer les passions et les bouleversements de la vie amoureuse de ces couples.

L’exploration de ce qui fait lien est le fil conducteur de ce livre, ce lien fait du malentendu de l’amour qui, si l’on reprend l’écriture que lui a donnée Lacan dans le Séminaire XX, s’écrit « l’amur2 », indiquant à quel point le mur entre les sexes fait ravage. Ce point est particulièrement mis en évidence. Rappelons encore ce que Lacan en dit dans son Séminaire Le sinthome : « Si une femme est un sinthome pour tout homme, il est tout à fait clair qu’il y a besoin de trouver un autre nom pour ce qu’il en est de l’homme pour une femme, puisque le sinthome se caractérise justement de la non-équivalence. On peut dire que l’homme est pour une femme tout ce qui vous plaira, à savoir une affliction pire qu’un sinthome. Vous pouvez bien l’articuler comme il vous convient. C’est un ravage, mêmesup>3. » Le cas de Dora Maar, dont le portrait peint par Picasso a bouleversé plus d’un de par le monde, en donne un exemple terrible et particulièrement enseignant.

Cette dissymétrie entre les partenaires est l’enjeu même de ce qu’on appelle « faire couple ». Le livre de Dalila Arpin en éclaire la situation, déclinant jusqu’où l’amour peut faire rempart au rapport sexuel qui n’existe pas, laisser chacun des partenaires au seuil de sa solitude et souvent – cela est tout à fait frappant à la lecture de son livre – au bord de la folie. Mais lorsque l’amour tisse une épaisseur qui fait fonction de protection, cela parvient à lui donner un caractère absolu. Le couple que forme le Che avec Aleida est en ce sens tout à fait marquant : elle a privilégié le « nous » en portant sa cause car ce qu’elle aime en lui, c’est l’idéal qu’il incarne, même après sa mort.

Modalités du faire-couple
Trois parties établissent l’enjeu du choix de ces couples célèbres par l’auteure. Les « Couples mythiques » avec Scott et Zelda Fitzgerald, Eva et Juan Domingo Perón, « Che » et Aleida Guevara. Ensuite les « Couples improbables » avec James et Nora Joyce, Salvador et Gala Dalí, Marilyn Monroe et Arthur Miller. Puis sous l’appellation « Couples clandestins », Hannah Arendt et Martin Heidegger, pour finir avec Picasso et Dora Maar.

La diversité de ces couples est sans doute le plus remarquable du livre mais n’est pas le fruit du hasard. Elle éclaire ce qu’une psychanalyste entrevoit sur la portée de l’événement qu’est la rencontre amoureuse et qui constitue chaque couple dans l’histoire qui lui est propre. Le fait que tous se situent dans le siècle qui vient de s’achever n’est pas non plus anodin. L’auteure, même si elle fait référence au couple de Samson et Dalila qui, depuis son plus jeune âge, est celui dont on n’a cessé de lui parler – son prénom y invitant –, ne le retiendra pourtant pas. Son choix est à lire entre les lignes... La peinture, la politique, la littérature, le cinéma situent la scène de la célébrité dans le XXe siècle marqué par les guerres, les dictatures, mais aussi l’art, toujours précurseur de la marque d’une époque, sans oublier le mouvement qui va conduire les femmes à obtenir une liberté nouvelle. Ces couples célèbres ont donc été confrontés à cette époque-là, située pour chacun en fonction de son pays et de sa langue. Cela reflète à la fois la vérité du choix de Dalila Arpin d’écrire sur des couples qui, comme celui de ses parents, se sont connus dans cette période mouvementée. J’ajouterai que son goût pour l’Autre, le dissemblable, celui qu’on ne connaît pas, et la place qu’elle donne à la langue de l’Autre contribuent à donner au lecteur le sentiment qu’on voyage d’une langue à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une histoire à l’autre. Ce qui fait mouche pour chacun fait bien entendre que l’auteure est psychanalyste. Cela consonne d’ailleurs avec ce qu’elle nous dévoile dans son introduction et qu’on ne sait pas toujours, à savoir que l’un des partenaires de plusieurs couples dont elle nous parle a rencontré un analyste – parfois Lacan, et même Freud – et qu’ainsi, la psychanalyse aura été, pour ces sujets pris au un par un, un rendez-vous incontournable.

Le XXe siècle, à cet égard, a révélé l’impact du désir inconscient dans la vie de chacun et situé l’enjeu de la pulsion, toujours dérangeante car sourde au senti-ment4. Ce livre témoigne combien la psychanalyse permet de saisir les nouages en jeu dans ces affaires de couple de toujours : résultat surprenant de la rencontre d’une psychanalyste lacanienne et de son désir d’analyste avec le plus étrange pari que constitue, pour chacun, sa manière de faire couple.

Notes :
1 Expression de Lacan dans sa note à Jenny Aubry, Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
2 Lacan, J. Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 11.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Le Seuil, 2005, p. 101.
4 Cf. ibid., p. 66.

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