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Publié le lundi 20 mars 2023

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Mars 2023

Le bulletin Uforca numéro 54




LA CLINIQUE AVEC LES ENFANTS

Au-delà de la relation parents/enfants


L’enfant relève-t-il d’une pratique clinique différente de celle des adultes ? Cette question suscita des controverses dans le milieu analytique. La société britannique de psychanalyse vit ainsi s’affronter, durant la Seconde Guerre mondiale, les partisans d’Anna Freud et ceux de Melanie Klein1. Pour les premiers, l’analyste devait tenir compte du lien privilégié entre l’enfant et ses parents. M. Klein, pionnière en cela, se repérait sur ce qu’exprimait un enfant qui ne disait parfois que quelques mots, comme ce fut le cas de Dick2.

Il arrive, en effet, qu’un enfant, lorsqu’on l’amène chez un clinicien, ne parle pas, mais s’agite. Si cette agitation muette se voit le plus souvent aujourd’hui épinglée de l’inévitable diagnostic de trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), des recherches, dans le champ de la psychanalyse, convoquent d’autres hypothèses.

Ainsi, dès 1954, les travaux de Robert et Rosine Lefort, focalisés sur les séances de cette dernière avec le petit Robert, montrent que « sa course sans fin d’un bout de la pièce à l’autre » étiquetée à l’époque, par le diagnostic de « paraplégie spasmodique3 » était « le fait d’un enfant terrorisé qui vérifiait par cette agitation l’impossible séparation d’un “Autre foncièrement présent4” ». Au-delà de ses partenaires qui sont les autres de la réalité – parents, éducateurs etc. –, figures bienveillantes ou toxiques, chaque enfant, en effet, a affaire à l’expérience du lieu de l’Autre au sens où la psychanalyse apprend à le situer, c’est-à-dire un corps pris dans le langage. Se creuse en ce point une faille dont les conséquences se répercutent différemment selon les types cliniques, mais qui confronte chaque corps parlant à un impossible, celui de ressaisir son être dans la totalité d’une « jouissance Une5 ». L’inconscient est une réponse intime et différente pour chacun à cette faille autour de laquelle se nouent corps et discours.

Il n’y a donc pas de programme dans lequel on pourrait cocher les cases dans un questionnaire pour faire avec cet Autre dont l’inconsistance peut faire surgir les exigences les plus féroces. Lacan écrivait d’ailleurs cet Autre avec une barre pour en faire saisir l’étrangeté : Ⱥ. C’est ce que nous enseigne le petit Hans, un cas princeps de Freud, qui éprouve l’énigme d’une jouissance impossible à loger dans son monde signifiant6. Celui qui se nommait en réalité Herbert Graf et vivait à Vienne au début du XXe siècle inventera, aiguillé par son analyse, des solutions symptomatiques et pourra suivre un élan sublimatoire tout au long de sa vie une fois adulte7.

Dans son trajet, un enfant doit faire avec « des carrefours, des lieux et des temps, où se rencontrent des éléments nouveaux et difficiles à intégrer, [qui] font trou dans ce qui s’était tissé pour lui8 ». Cela peut être, pour lui, l’occasion de faire une rencontre qui vaille, celle d’un clinicien orienté par la psychanalyse. Se dessinent alors les contours d’un lieu nouveau, où peut se mettre en jeu ce qui agit un jeune sujet en silence et le voue, parfois, à se faire le tyran de son entourage. Le savoir qu’il invente dans cet espace, à la croisée des discours, est étranger à ce qui s’apprend dans le champ de l’éducatif et démontre, dans la clinique avec les enfants, son opérativité.

Les cas cliniques présentés et les conversations qui auront lieu autour du thème « Parents exaspérés – Enfants terribles » le 18 mars prochain à la Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien nous fourniront quelques repères pour aborder ces questions.

Agnès Vigué Camus

Notes :
1 Cf. Sokolowsky L., « Melanie, femme sans doute », La Cause du désir, n°112, novembre 2022, p. 115, disponible sur Cairn.
2 Cf. Klein M., « L’importance de la formation du symbole dans le développement du moi », Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 263-278.
3 Lefort R. & Lefort R., Les Structures de la psychose, Paris, Seuil, 1981, p. 25, cité par S. Cottet, in L’Inconscient de papa et le nôtre, Paris, Michèle, 2012, p. 80.
4 Cottet S., L’Inconscient de papa et le nôtre, op. cit., p. 80.
5 Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne, n°43, octobre 1999, version CD-ROM, Paris, Eurl-Huysmans, 2007, p. 19.
6 Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1997, p. 93-198.
7 Cf. les textes de M.-H. Blancard, « Les effets d’une cure. Comment Herbert Graf a inventé la mise en scène de l’opéra », et de L. Sokolowsky, « Le jeu de leurre et la phobie infantile », dans ce numéro d’Ironik !
8 Roy D., « L’enfant dans le discours sexuel », in Damase H., Roy D. & Sokolowsky L. (s/dir.), La Sexuation des enfants, Paris, Navarin, 2021, p. 24.

Accéder directement à IRONIK ! n°54 et son contenu


SOMMAIRE :

TRAVAUX D’UFORCA

SUR LES TRACES DU PETIT HANS


Le jeu de leurre et la phobie infantile
Laura Sokolowsky, Section clinique de Strasbourg

La phobie fonctionne comme une borne évitant à l’enfant de se laisser emporter par cette noirceur mystérieuse que l’on voit courir dans tout le cas. Lire la suite

Les effets d’une cure – Comment Herbert Graf a inventé la mise en scène d’opéra
Marie-Hélène Blancard, Antenne clinique de Brest-Quimper

Sur le trajet analytique d’un garçon de cinq ans qui lui permit de passer du symptôme phobique à un travail de création. Lire la suite

Transfert et rapport au savoir dans les cures d’enfants
Claude Parchliniak, Section clinique de Rennes

Analysant à part entière, l’enfant est aux prises avec une jouissance qui a chance de se traiter par le symptôme via le transfert. Lire la suite


LIRE L’EPOQUE AVEC LACAN

Séance

L’enfant, symptôme du réel sur grand écran
Camilo Ramirez

L’enfant contemporain au cinéma : cristallisations singulières du réel de l’époque. Lire la suite

Les concepts fondamentaux de la psychanalyse... et les autres

L’infantile
Hélène Bonnaud

Chez le sujet, l’infantile n’est pas l’enfance, mais il y puise ses racines : racines de jouissance. Lire la suite


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