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Publié le lundi 1er novembre 2021

L’Edito de la déléguée régionale de l’ACF-Normandie

Calligraphies

Novembre 2021

Avons-nous le choix ?

« L’espace dialectique cher à la liberté d’expression » comme l’exprime Patricia Bosquin Caroz, est assez mis à mal actuellement, dans notre quotidien. Les différends irréductibles à propos d’interprétations de décisions prises d’un commun accord, comme la rédaction de lois ouvrant la porte à des restrictions de parole, ou enfin les discussions d’un autre âge sur le blasphème, sont devenus notre quotidien. La législation devient très précise à propos de ce qui est dit, en particulier dans l’espace qui était le débat public. Et les sanctions ne semblent pas loin.

C’est à se demander si la parole a encore une signification ? C’est-à-dire, a-t-elle encore quelque chose qui serait en rapport avec un état des choses ? L’actualité ne cesse de nous rappeler, non seulement que le malentendu est de base, et c’est ce qui fait parler, et pas seulement les bavards. Mais bien aussi tout le monde, même ceux qui font attention à ce que ce qu’ils disent soit au plus près de leurs intentions.

En ce moment est-ce bien de cela dont il est question ? Je crois pouvoir légitimement me demander si actuellement, nous ne sommes pas au-delà de ce malentendu, disons commun.

Alors ?
Que la parole soit aussi là pour tromper n’est pas une nouveauté. Les catastrophes sont très utiles, surtout si elles sont à venir. On peut menacer de celles-ci, c’est toujours efficace sur les inquiets, ou bien cela fixe l’angoisse sur un objet extérieur ; de plus cela décharge le sujet de répondre de son objet.
La liste des inventions de catastrophes n’est pas close, loin de là. Le possible est vaste et abrite de merveilleuses constructions, soutenues par la circulation de nouvelles du bout du monde, souvent transmises hors contexte, ou traduites à contre-sens. Chaque jour nous assène des nouveautés de ce style, pas toujours démontées le lendemain. Non, ce n’est pas ce qui m’inquiète.
Ce qui m’inquiète, c’est un usage de la parole contre elle-même. Quelque chose qui ne dit rien de bien clair, sauf « rassurez-vous ». Ou « dormez tranquilles, nous veillons ». Un doux bla-bla, lénifiant. Quelque chose qui rappelle l’hypnose. D’ailleurs c’en est proche, car il y a des réveils brutaux.

Soudain, ce à quoi nous avons consenti se retourne contre ceux qui ont accepté. Pouvais-je faire autre chose que d’accepter ? Comment savoir la couleur du jeu de l’autre, si je refuse de jouer ? Comment jouer, si la parole dite ne compte pas pour ce qu’elle veut dire ? Mais qu’en fait elle signifie toute autre chose, et souvent l’opposé, de ce qui est assuré dans une belle négation, ou simplement par antonyme. En douceur, vous avez dit en douceur ? Ne vous inquiétez pas, il va y avoir de la brutalité ! Alors avons-nous le choix ?

Nous qui pratiquons avec cet outil qu’est la parole, pour laquelle nous pouvons différencier celui qui parle et celui qui écoute ; ce que cette parole veut dire, ce qu’elle dit en effet, ce que l’interlocuteur en comprend.
Nous nous sommes attachés à distinguer la visée du locuteur et son intention de dire, puis le sens commun, et enfin la signification, qui elle, dépend de celui à qui l’on s’adresse. Nous qui maintenons qu’il peut y avoir un référent dans la réalité, ou pas. Qu’il est possible de dire qu’il fait nuit quand il fait jour, c’est de la poésie. Mais pas de la météorologie. Sauf à être prédictive du lendemain.

Bref, malgré l’étendue des possibilités de sens, nous continuons de parier sur le fait que parfois le symptôme est sensible à une interprétation, et se modifie. Que parfois c’est encore plus modeste, juste une écoute attentive, une question bien posée peuvent suffire à changer toute une attitude, tout un comportement, comme il se dit de façon moderne. Voilà un beau mot « comportement » ! Cela situe une « objectivité » si rassurante. Enfin, peut être ! L’œil perçant est extérieur, et assure d’une objectivité évidente ! Sauf que c’est celle de l’interprète.

Au mot « comportement » le dictionnaire Littré donne une citation de Pascal : « Pour reconnaitre si c’est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s’examiner par nos comportements au dehors, que par nos motifs au-dedans. » Certes ! Mais si nous ne retrouvons pas « Dieu » ou toute autre cause, dans notre comportement, c’est-à-dire si nous ne nous reconnaissons pas, nous serons alors réduits à nos motifs - c’est-à-dire, faisons simple, à porter nos signifiants à un psychanalyste, et exposant nos « motifs », le pourquoi du comment. De là, nous retrouver à dire ce que nous n’avions pas prévu, et surtout pas pensé ! Il ne reste plus qu’à en tirer les conséquences.

En 2011, Oscar Ventura soulevait cette question : si l’ordre symbolique n’est plus, que devient la psychanalyse, qui mise sur lui ? Laure Naveau, dans le Lacan Quotidien numéro 140, nous donne sa réponse « lumineuse », dit-elle : « La psychanalyse n’est pas menacée d’extinction, mais par son succès. La menace envers la psychanalyse est un fantasme qui a parcouru tout le mouvement analytique, depuis sa création à Vienne et Freud n’a cessé de le formuler. » Ce qui donne son poids à la formulation lacanienne « la psychanalyse est un symptôme ». Elle conclut : « le restera-t-elle ? » Tant que nous aurons le choix, certainement. Même si ce choix ne se sait pas avant d’avoir dit oui. Car c’est la difficulté du moment, il faut déjà dire oui, pour pouvoir parier, et ensuite dire « cela a été mon choix, et je dois faire avec les conséquences ».

Catherine Grosbois, Déléguée régionale de l’ACF en Normandie.