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Publié le mercredi 6 mai 2020

L’Edito de la déléguée régionale de l’ACF-Normandie

Calligraphies

Mai 2020

L’inhibition qui me prend en ces temps confinés me pèse et je peine à la soulever. Quelle fatigue ! Comme si je ne savais plus ce que je veux, ni ne pouvais poursuivre un but. Le jardin, la lecture, même le travail ne m’apparaissent plus que comme des « choses à faire » qui n’ont d’intérêt que finies. Ouf, repos !

Quelle drôle d’idée, le « repos », ça veut dire quoi ? Pour moi, cela voulait dire liberté d’aller et venir. Là, c’est faire un tour en vélo et tourner dans le jardin. Un peu court le circuit !

Ah, voilà le circuit. Où ai-je lu quelque chose sur le circuit ? Un article de Miller, sur l’érotique du temps, commence en effet sur l’érotique de l’espace, et la fréquente nécessité du détour pour parvenir à l’objet désiré. C’est un article de la revue La Cause Freudienne de 20041. Il reprend des conférences données à Rio de Janeiro en 2000, les 7 et 8 avril.

Le point central de cet exposé est le paradoxe des « futurs contingents2 » - c’est à dire la possibilité que quelque chose ne se produise pas. Par exemple, il est possible qu’il y ait une réplique de l’épidémie. Une deuxième vague, comme on dit. Ou bien pas ! Vu d’ici, nous ne savons pas. Mais dans un mois, ou l’an prochain, nous saurons, certainement. C’est-à-dire qu’il y a un vecteur vers l’avenir, c’est celui de ce que nous savons. Et il y a le vecteur en sens inverse, celui disons, de la vérification par l’apparition de ce qui était prévu. Le possible devient le nécessaire. Le nouage de ces deux vecteurs, dont l’un est rétrograde, est un effet de signification du Sujet supposé Savoir. C’est-à-dire de l’ensemble de ce à quoi nous croyons. Ou encore, début mars, nous ne savions pas s’il y allait avoir une épidémie. Depuis l’épidémie de grippe aviaire, avec ses allures de farce, je pensais que tout cela n’était pas très sérieux. Malin, hein ? Aussi bête que les futurologues patentés ! Me voilà donc dans cette position, où ce que je croyais s’évapore comme vérité. En quelque sorte, le Sujet supposé Savoir qui est derrière ma croyance – ici dans ma science – ne tient plus. D’où l’angoisse en filigrane de ma paresse. Il y a donc une nécessité à reconstruire « une érotique du temps » comme le propose le titre donné aux conférences de Rio.

Là, l’expérience analytique lacanienne est précieuse. Miller le fait remarquer dans cet article : "Le savoir scientifique suppose la forclusion du temps, la réduction à une ligne qui porte l’éternité des savoirs et leur vérité. L’expérience analytique, elle, est un effort pour penser « un démenti au sujet supposé savoir, [...] qui suppose justement de surmonter dans la pensée la forclusion du temps3. » « Dans la séance analytique, la réversion temporelle est expérimentée d’une façon spéciale. [...] Chaque moment présent dans la séance [...] est doublé par sa propre inscription au passé, est vécu à la fois au présent et dans la signification de l’inconscient4. » Le temps régrédient est représenté par l’analyste5. Cela se marque dans le dégagement des éléments de répétitions. Tu l’as déjà dit ! Ou bien, tu l’as déjà dit et cela voulait dire autre chose ! Jacques-Alain Miller soulignera ensuite l’illusion du « c’était écrit6 » qui m’a bien tenue longtemps ! Mais aussi sa contrepartie de surprise, qu’il faut accueillir dans sa dimension de bonne surprise. L’imprévu n’est pas toujours le pire, et c’est à cela que je dois m’arracher doucement, afin que l’avenir ne soit pas simplement hier. La proposition qui clôt ces conférences est la transformation de l’impossible en événement. Miller parle du temps « du présent épais7 ». Cela fait image pour moi, relance des envies de lire, par exemple « les Confessions » de Saint Augustin.

Voilà, faire de ce temps d’incertitude un moment événement, qui bouscule la répétition du même. Supporter la perte, remettre en circuit ce qu’on peut voir et entendre, ce que l’on gagne.

Allons voir des tableaux, des performances et écoutons de la musique !

Nos activités reprennent sous différentes formes avec la possibilité d’échanger en groupe par internet, ou au téléphone. Le Séminaire interne reprendra par Zoom samedi 30 mai à 14h30.

Portez vous bien, prenez soin de vous.

Catherine Grosbois

Notes :
1 Miller Jacques-Alain, « Introduction à l’érotique du temps », La Cause Freudienne, n° 56, mars 2004.
2 Ibid., p. 69.
3 Ibid., p. 71.
4 Ibid., p. 77.
5 Ibid., p. 77.
6 Ibid., p. 78.
7 Ibid., p. 83.

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